Martin Bellemare : du théâtre humaniste pour petits et grands
« Un texte d’une éblouissante maîtrise formelle » ; une « inventivité virtuose » : c’est en ces termes élogieux que le jury a décrit la pièce Moule Robert, qui vient de mériter au dramaturge Martin Bellemare le prix Michel-Tremblay 2018. La Fondation du Centre des auteurs dramatiques remet chaque année ce prix au meilleur texte de théâtre québécois porté à la scène la saison précédente. Martin Bellemare nous parle de ce prix et de sa pièce pour enfants Des pieds et des mains, dont la production fera escale à la Cinquième Salle de la Place des Arts pendant les fêtes.
D’abord, toutes mes félicitations pour le prix Michel-Tremblay ! Comment réagissez-vous à cet honneur ?
C’est un prix prestigieux ! Il termine un automne superbe : j’ai reçu le prix SADC de la Dramaturgie francophone pour la pièce Maître Karim la perdrix, une autre de mes pièces a été sélectionnée pour des lectures dans le cadre de Jeunes textes en liberté, j’ai reçu une aide à la création du CNT/ARTCENA, en France, pour Charlie et le djingpouite…
Ces marques de reconnaissance sont précieuses parce qu’elles donnent de la visibilité à mes textes. Le prix Michel-Tremblay est aussi un bel encouragement. Même si ma carrière va bien, je n’échappe pas aux moments d’incertitude… Le prix me confirme que je fais bien de continuer.
Moule Robert est un texte pour adultes, tandis que Des pieds et des mains s’adresse aux enfants. Peut-on tout de même faire des liens entre ces deux pièces ?
Oui, ce sont deux textes qui défendent les mêmes valeurs : l’humanisme et l’égalité entre les individus. Les personnages de Des pieds et des mains découvrent le monde avec un esprit d’ouverture et d’inclusion ; c’est aussi le cas du personnage Robert Moule.
« C’est dans cette optique que j’ai écrit Des pieds et des mains. J’ai voulu aborder les différences physiques et les différences sociales avec tendresse et ludisme. »
En quoi l’écriture pour la jeunesse est-elle différente de l’écriture pour adultes ?
Quand j’écris pour la jeunesse, je me vois assis en cercle avec les enfants. J’imagine qu’on écrit l’histoire ensemble, dans la liberté et le jeu. Alors que quand j’écris pour les adultes, je me vois assis devant mon ordinateur, avec un adulte qui lit mon texte par-dessus mon épaule.
Cela dit, avec Moule Robert, j’ai tâché d’insuffler à ce texte pour adultes l’énergie qui anime mon écriture pour les jeunes. Je crois que c’est réussi !
D’où vous est venue l’idée de la pièce Des pieds et des mains ?
J’avais déjà l’idée d’une fabrique de pieds et de mains, probablement sortie de mon inconscient. Puis, un jour, je suis passé devant un mendiant qui n’avait pas de bras, à Paris. Ça m’a saisi ! En rentrant chez moi, j’ai dessiné cet homme, j’ai réfléchi à ce qu’il avait dû subir… J’ai eu envie de parler de lui dans une pièce. Au départ, je ne pensais pas possible d’aborder ce sujet dans un texte pour jeune public, mais à la réflexion, je me suis dit que tout ça allait ensemble !
La dramaturge Suzanne Lebeau dit qu’on peut parler de tout aux enfants ; que la seule chose qu’on ne peut pas faire, c’est leur enlever l’espoir. C’est dans cette optique que j’ai écrit Des pieds et des mains. J’ai voulu aborder les différences physiques et les différences sociales avec tendresse et ludisme.
Qu’est-ce que le théâtre apporte de particulier aux enfants ?
Le théâtre est un rendez-vous. Les artistes sont avec nous dans la salle, en direct ; c’est un moment de communion. Le théâtre et les autres arts vivants forment un rempart contre la virtualité et le cloisonnement de notre époque.
Un autre élément qui revient dans mes discussions avec des enfants est qu’alors que le cinéma cherche à recréer la réalité, le théâtre la suggère. Le cinéma utilise des effets spéciaux pour qu’une explosion ait l’air vraie, alors qu’au théâtre, on cherche à faire ressentir l’explosion. Le spectateur de théâtre est actif. Il participe au spectacle en complétant par l’imaginaire ce que les artistes proposent.
Cela dit, je ne veux pas défendre le théâtre contre d’autres formes d’expression. À mon avis, la diversité des angles de perception de la réalité est essentielle. C’est cette variété qui construit l’individu. Ça vaut la peine d’emmener les enfants partout !
Des pieds et des mains sera présenté à la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 28 au 30 décembre 2018.