Chute d’Icare (1963)
de Micheline Beauchemin (1929–2009)
Situé dans le Foyer Beauchemin de la salle Wilfrid-Pelletier
Une œuvre s’inspirant de l’artisanat peut-elle être considérée comme du grand art ?
Même si Micheline Beauchemin fut reconnue de son vivant pour ses tapisseries intégrées à l’architecture, ainsi que pour ses rideaux de scène, sa notoriété est de nos jours beaucoup moindre que celle de ses contemporains masculins peintres ou sculpteurs. L’historienne de l’art Rose Marie Arbour voit justement en son travail un « questionnement sur les limites hiérarchiques propres aux arts visuels par la réappropriation de médiums et techniques traditionnels ». Beauchemin ne faisait pas ce qu’on a eu tendance à décrire comme un « ouvrage de dame », de l’artisanat délicat de petit format produit en solitaire. Elle développa un art monumental réalisé avec des équipes, parfois même des firmes d’ingénieurs, pour des espaces publics. Certains ont voulu « anoblir » son travail en le définissant comme celui d’un « peintre-lissier ». Est-ce nécessaire ? Beauchemin ne méprisait pas les arts dits mineurs. Après ses études à l’École des Beaux-Arts de Montréal, sa curiosité l’a amenée à étudier le vitrail à Chartres, mais c’est en Grèce qu’elle fait de la broderie et qu’elle a choisi le médium avec lequel elle allait se faire connaître, la tapisserie. Comme elle l’avait expliqué au critique Yves Robillard à La Presse en 1967, elle créa des murailles… « Muraille et non murale parce que, pour moi, une murale est intégrée à un mur tandis que mes tapisseries peuvent s'ériger dans le vide ».
Le 20 septembre 1963, dans Le Devoir, pour l’ouverture de la Place des Arts, La Chute d’Icare réalisée par Beauchemin, est ainsi décrite: « Parmi les œuvres d’art d’un genre inusité, on remarquera une immense tapisserie abstraite fabriquée avec des tissus de laine d’une pesanteur totale de 200 livres. » C’est, à cette époque, la plus grande œuvre conçue par Beauchemin (240 x 48 cm) qu’elle a réalisée dans un atelier au 41e étage de la toute nouvelle Place Ville-Marie. Représentant le mythe d’Icare – dont la cire des ailes a fondu à l’approche du soleil – cette œuvre abstraite donne à voir un mouvement de désintégration sur la gauche et d’élévation sur la droite. Les teintes de bleus et de verts rappellent le ciel, mais aussi l’eau ainsi que la végétation vers lesquels plongent Icare. Les titres des œuvres de Beauchemin font souvent référence aux oiseaux, aux anges et à leurs ailes. Avec le langage poétique qui lui est propre, l’écrivain Claude Gauvreau a même dit d’elle qu’« elle est un ange, qui à la fois, est la femme-entrailles-fierté ».