Rhodnie Désir : à cœur vaillant, rien n’est impossible!
Dans quelques jours, Rhodnie Désir présentera sa Symphonie de cœurs sur la scène de la grande Salle Wilfrid-Pelletier : 11 interprètes, 2 musiciens de RD Créations et 60 musiciennes et musiciens de l’Orchestre Métropolitain – sous la direction de Naomi Woo – battront la mesure en symbiose avec des projections immersives produites par l’Office national du film du Canada. Ce spectacle à grand déploiement est né d’une rencontre et d’un chant, comme nous le raconte la première artiste associée de la Place des Arts.
Depuis quand travaillez-vous sur Symphonie de cœurs?
La première phase était documentaire afin d’en découvrir plus sur toutes les mouvances possibles qui entourent le cœur, l’organe, mais encore plus larges, le système cardiovasculaire. Le but de cette documentation était de me rapprocher de l’humain, de l’organe, du fonctionnement et du mouvement, ainsi que de réussir à en saisir l’essence.
Le 20 septembre 2022, j’entrais à l’Institut de cardiologie de Montréal afin de rencontrer 22 spécialistes. On m’a mis en contact avec des patientes et patients partenaires, c’est-à-dire des gens ayant une maladie cardiovasculaire qui ont une capacité de la verbaliser. Par la suite, j’ai été invitée en Suisse à l’Istituto Cardiocentro Ticino de Lugano pour réaliser d’autres entrevues. J’ai assisté à quatre opérations à cœur ouvert; une chance incroyable de voir le corps et le mouvement du flux sanguin de l’intérieur. J’ai aussi interviewé des jeunes du Collège Jean-Eudes et ma mère, qui est atteinte de plusieurs maladies cardiovasculaires. L’intention n’est pas de dire que les médecins ont la science infuse et que les malades sont des victimes; au contraire, c’est plutôt de faire ressortir le collectif de ces diverses conversations.
Istituto Cardiocentro Ticino de Lugano. Photo : LAC Lugano Arte e Cultura, 2023.
Par la suite, je suis entrée en studio et j’ai partagé cette documentation avec mes collaboratrices et collaborateurs à la conception ainsi qu’avec les interprètes. De thématique en thématique, on a bâti l’œuvre de façon organique. La composition s’est réalisée avec Jorane et Engone Endong, qui est beatmaker ou compositeur rythmique et concepteur sonore. C’est lui qui actualise l’espace pour nous emmener dans un hôpital ou pour nous plonger dans un cœur qui bat trop vite. Je voyais les partitions ce matin et le nombre de battements par minute (BPM) correspond à des battements de cœur; c’est un rythme. Finalement, la dernière étape a été de déployer le tout en répétitions.
Sur la photo: Jorane, Rhodnie Désir et Engone Endong. Crédit photo : Kevin Calixte, 2023.
Comment cette idée est-elle venue? Saviez-vous que ce serait un spectacle à grand déploiement?
Je travaille de façon instinctive et somatique. Je ne crée pas d’œuvre sans avoir un chant qui me vient en tête. Je compose et j’interprète souvent ces chants qui sont insérés dans la trame musicale. J’ai collaboré avec Jorane, qui a composé la musique symphonique; j’arrivais avec un enregistrement sur mon téléphone et ça lui inspirait une mélodie.
L’idée de Symphonie de cœurs m’est venue à la suite d’une rencontre avec Yannick Nézet-Séguin dans un panel de la Place des Arts. On a tous les deux eu un coup de cœur qui s’est verbalisé sans avoir un projet entre les mains. Le soir même, je pliais des vêtements comme toutes les mamans, et j’ai eu une idée soudaine accompagnée de palpitations cardiaques à cause de son ampleur. Le nom a été très clair dès le début – il n’a jamais changé – tout comme le premier chant qui a suivi.
Au départ, j’imaginais un immense spectacle avec 150 artistes à l’extérieur, dans le Quartier des spectacles. Je rêve presque toujours de mes projets en grand. Je devais trouver quelqu’un qui était capable de se lancer dans un aussi gros projet sans être intimidé par son ampleur. Pierre Des Marais et Danse Danse ont cette capacité d’aider à se propulser encore plus loin, même quand tu ne sais même pas que tu es rendu là.
La démarche documentaire est centrale dans tout ce que vous faites. Pourquoi est-elle importante?
C’est fondamental parce que je ne crée pas pour moi, mais pour laisser un héritage qui va servir à d’autres. On est indissociable de tout ce qui nous entoure et de ce qui nous a précédés. Je m’inspire de cette connexion à l’ancestral. On pourrait croire qu’il ne s’agit que de l’ancien, mais la contemporanéité est ancestralité par les gens qui portent ses mémoires et les font évoluer pour bâtir ce contemporain qui est « de notre temps maintenant ». L’ancestralité, c’est aussi une interconnexion avec la nature, le sacré, le spirituel, les êtres humains, l’alliance des savoirs, mais surtout la tradition orale, qui traverse les époques. Alors, pourquoi ne pas s’en inspirer pour effectuer une chorégraphie-documentaire?
Dans Symphonie de cœurs, vous faites un parallèle entre les failles du cœur et les failles de la société. Est-ce un message politique?
Au départ, l’idée principale était de lier les failles sociales et les failles du système cardiovasculaire. Aujourd’hui, je ferais plus un parallèle entre les différentes pulsations du cœur et les pulsations émotionnelles.
Par rapport aux failles sociales, l’œuvre ne traite pas seulement de cela, mais je trouve qu’il y a beaucoup de déchéance dans le monde. C’est un privilège de faire un spectacle ou de pouvoir s’asseoir dans une salle et de le regarder. Pendant que je fais ça, j’ai des amis en Haïti qui vivent le chaos et le trauma. Parler du cœur et de notre interconnexion humaine, et se rappeler que, malgré tous les conflits, tout le monde a dans son corps un métronome qui un jour part et un jour s’arrête. On se ralliera peut-être à cette essence collective.
Ce spectacle, c’est une invitation – aux gens qui ont la capacité de le faire – à s’asseoir ensemble et à écouter ce grand cœur-tambour duquel nous faisons tous partie.
Le spectacle a été présenté à la Salle Wilfrid-Pelletier du 4 au 6 avril 2024.