Nicole Lizée
Crédit photo : Steve Raegele
Crédit photo : Steve Raegele
Philippe Couture - 7 mars 2019

Nicole Lizée : Intégrer le passé dans la musique du présent

Artiste hors-norme, Nicole Lizée est une compositrice montréalaise qui use d’emprunts au cinéma et de pratiques de recyclage musical pour faire exploser le cadre de la musique classique et du quatuor à cordes. Discussion. 

 

Née en Saskatchewan, la lauréate du prix Opus de la compositrice de l’année 2019 collabore depuis quelques années avec le célèbre Kronos Quartet. L’ensemble interprètera le 16 mars prochain son œuvre Another Living Soul sur la scène de la Place des Arts. Plongeons avec elle dans un univers musical tissé de références multiples.

 

Vous êtes diplômée de l’Université McGill et connue dans les cercles de musique contemporaine, mais vous dites souvent que vos principales influences sont Nana Mouskouri et MTV. Parlez-nous de ces influences. 

 

« On oublie souvent à quel point Nana Mouskouri, comme d’autres artistes de la même époque, utilisait une variété de sons dans sa musique. Ses chansons m’ont initiée à une grande variété d’orchestrations, de méthodes d’enregistrement et d’harmonies. Quant à MTV, que je regardais compulsivement au début des années 80, c’était à mes yeux une fascinante expérience d’hybridation entre la musique et le cinéma. À cette époque glorieuse, MTV était un espace de prise de risques et de nouveauté, qui proposait une nouvelle narration du monde. »

 

Votre musique repose en partie sur un dialogue entre technologies désuètes et actuelles. Qu’est-ce qui vous fascine tant dans notre rapport aux technologies ?

 

« Ça remonte à l’enfance. Mon père est vendeur et réparateur d’appareils électroniques. Il a conservé à la maison tous les appareils qu’il a possédés. Cette petite collection raconte quelques décennies d’histoire technologique. Les sons et les images produits par ces appareils m’ont toujours fascinée. Ils gagnent en valeur à mes yeux à mesure qu’ils deviennent obsolètes dans la vie courante. Ils continuent à exister, même de manière tronquée, dans ce que j’aime appeler le “purgatoire des sons”. Impossible pour moi de composer de la musique de chambre sans les intégrer aux partitions. J’y vois des instruments au même titre que le violon. »

 

Vous aimez aussi travailler à la frontière de la musique et du cinéma. En quoi les sons et les musiques des films de David Lynch, par exemple, sont-ils des matières fécondes pour vous ?

 

« Je m’intéresse aux textures sonores de ces longs métrages, incluant les musiques, les dialogues, les bruitages et les ambiances sonores. Les sons sont passionnants dans les films de Lynch, car ils sont tissés d’irrationnel et d’onirisme. J’ai le sentiment que je fais la même chose que lui en tant que compositrice : je pars du réel, puis je le distends et le déconstruis jusqu’à atteindre une certaine étrangeté. J’aime travailler les sons du cinéma pour les emmener dans une direction inusitée. »

 

On pourrait dire de votre musique qu’elle résulte d’une pratique de recyclage, de métissage, de transformation ?

 

« Absolument. Je pars des médiums artistiques qui m’intéressent, comme le cinéma, les jeux vidéo 8 bits, l’animation en stop-motion, le DJing et la musique de chambre, et je leur appose de nouveaux filtres. Je décontextualise, je déconstruis et reconstruis différemment. J’aime créer une œuvre nouvelle dans laquelle les traces du passé restent manifestes. »

 

Expliquez-nous de quelle manière votre collaboration avec le célèbre Kronos Quartet a été marquante pour vous ces dernières années?

 

« Je suis fan de cet ensemble depuis le début des années 1990, particulièrement depuis l’album Black Angels. Je collabore avec eux depuis 2011 ; c’est un rêve devenu réalité. Avec eux, il n’y a aucune limite. Ils partagent mon désir d’élargir les possibilités du quatuor à cordes et de faire exploser le cadre du concert classique. »

 

Le 16 mars à la Place des Arts, le Kronos Quartet jouera votre pièce Another Living Soul. Qu’est-ce qui a présidé à la création de ce morceau ?

 

« J’ai voulu rendre hommage aux pionniers de l’animation en stop-motion, comme Ray Harryhausen, Ladislas Starevich et Art Clokey, en utilisant une instrumentation purement acoustique. Je suis admirative de ces artistes qui ont réussi ce qui semblait impossible : rendre vivants des objets inanimés, leur insuffler de l’émotion. Je tente de faire de même dans cette pièce en faisant par exemple jaillir la musique de différents tubes. C’est aussi une pièce qui célèbre les sons analogiques du passé. »

 

Le Kronos Quartet sera en concert à la Maison symphonique le 16 mars 2019, à 20 h.

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