Lagrime di San Pietro : le chef-d’œuvre de Lassus décortiqué
Philippe Couture - 24 janvier 2020

Lagrime di San Pietro : le chef-d’œuvre de Lassus décortiqué

Œuvre chorale canonique, Lagrime di San Pietro, de Roland de Lassus, n’est que rarement interprétée sur les scènes occidentales. La visite de la Los Angeles Masters Chorale à la Maison Symphonique est donc un événement privilégié, comme le rappelle en vidéo Francis Reddy. L’animateur nous invite à plonger dans l’histoire de cette œuvre marquante de la Haute Renaissance.

 

 

Roland de Lassus n’a jamais pu entendre son chef-d’œuvre Lagrime di San Pietro interprété par un ensemble choral, ayant trépassé trois semaines seulement après avoir achevé la composition de cette œuvre colossale, en 1594. En proie à la mélancolie et à l’inquiétude à la fin de sa vie, le compositeur de musique sacrée a néanmoins laissé un précieux héritage, que revisite aujourd’hui avec fougue et inventivité le metteur en scène américain Peter Sellars. Épurée, concise, mais polyphonique et stylistiquement composite, l’œuvre est propice à une mise en scène spectaculaire.

 

Si elle jouit d’un statut culte chez les spécialistes et est très étudiée dans les universités, l’œuvre de Lassus est rarement représentée sur les scènes professionnelles. Les traces de représentations anciennes des Larmes de saint Pierre sont quasi introuvables, et les ensembles contemporains s’y étant attaqués se comptent sur les doigts d’une main. Il y a bien eu, en 1993, une interprétation par l’Ensemble vocal européen, sous la direction du chef d’orchestre belge Philippe Herreweghe, dont l’enregistrement est encore aujourd’hui louangé par les exégètes. Plus près de nous, le Studio de musique ancienne de Montréal en a offert une version singulière en 2009 au Festival de Lanaudière.

 

Nul n’a pourtant travaillé cette œuvre avec autant d’ampleur que Peter Sellars, dont l’approche implique les corps autant que les voix. Sa mise en scène invite les chanteurs lyriques à s’approprier une subtile chorégraphie soulignant les mouvements lyriques et à incarner les remords de l’apôtre Pierre dans un formidable unisson.

 

Car la matière est féconde. Les textes du poète Luigi Tansillo sur lesquels s’appuie Roland de Lassus forment une sorte de psychodrame évoquant un parcours du chemin de croix qu’endurerait intérieurement saint Pierre. « En apparence, cette pièce parle de l’apôtre Pierre et des remords éternels de celui qui a renié Jésus avant sa crucifixion, expliquait Peter Sellars dans une entrevue en marge des représentations de Lagrime di san Pietro à la Philharmonie de Paris. Mais ce que nous avons réalisé en travaillant tous ensemble est que Lasso s’attaquait à des thèmes bien plus universels, touchant à la vieillesse, à la perte des choses et des êtres chers, à l’expérience extrême de la honte et du regret, mais aussi à la possibilité d’une bénédiction. » Le metteur en scène en tire un spectacle remarquable, selon les critiques.

 

Musique sacrée ?

 

Toute sa vie, le Belge Roland de Lassus a écrit des madrigaux, des motets, des messes, des magnificat, des litanies, des passions. Son œuvre n’a pas toujours été directement commandée par le clergé et elle ne figure pas nécessairement au répertoire des célébrations du culte catholique, mais elle appartient néanmoins à ce qu’il est convenu d’appeler la « musique sacrée », conçue pour exprimer le sentiment religieux et pour incarner des textes bibliques.

 

C’est d’ailleurs à l’église que le jeune Roland a appris à chanter, lui qui était enfant de chœur dans sa ville natale de Mons (dans l’actuelle Wallonie belge). Tout petit, déjà, il était louangé pour sa voix d’or. Il a ensuite parfait son éducation musicale à Palerme, Florence, Milan, Naples et Rome, avant d’être nommé maître de chapelle à la cour de Munich en 1563.

 

Imprégné de son époque et de ses nombreux voyages, Lassus a composé des madrigaux polyphoniques qui manifestent une grande variété d’influences et qui s’inspirent des plus brillantes innovations musicales de la Renaissance. Il s’illustre par exemple dans une forme nouvelle appelée le madrigale spirituali – un terme brouillant la distinction habituelle entre le sacré (motet) et le profane (madrigal).

 

La Los Angeles Masters Chorale

 

Fondé en 1964, ce prestigieux ensemble vocal américain compte 80 chanteurs. Reconnu pour sa précision technique, mais aussi pour un souci de mise en scène, un traitement toujours judicieux de l’espace scénique et des éclairages soignés, l’ensemble est unique en son genre. Magnifiées par la mise en scène radicale et audacieuse du renommé Peter Sellars, les voix de cet ensemble vocal californien paraissent plus grandes que nature. Une chorale toute désignée pour l’œuvre d’exception qu’est Lagrime di San Pietro.

 

Los Angeles Master Chorale - Lagrime di San Pietro, à ne pas manquer le 30 janvier 2020, à la Maison symphonique.

 

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