La fois où j’ai découvert Johnny Clegg
Philippe Couture - 5 octobre 2017

La fois où j’ai découvert Johnny Clegg

Il y a quelques jours, je connaissais à peine Johnny Clegg. Je me rappelais vaguement la chanson Asimbonanga. Peut-être avais-je un souvenir diffus de la vidéo dans laquelle on voit Nelson Mandela chanter avec lui ce tube des années 80, tout souriant sur la scène d’un festival allemand. Découvrir la vie et l’œuvre du zoulou blanc, à l’approche de son concert d’adieu le 19 octobre à la Place des Arts, a été rien de moins que passionnant.

Je suis né en 1984. Soit deux ans après la sortie de l’album Scatterlings, sur lequel figure la chanson à succès Scaterlings of Africa. Pendant la période la plus glorieuse de Johnny Clegg, je n’étais donc qu’un enfant, loin de me douter que, là-bas, au loin, dans un pays déchiré par l’apartheid, un musicien blanc osait jouer la musique de son voisin noir et danser au rythme de ses danses traditionnelles.

 

 

 

 

En 2017, à Montréal, pendant que se développe lentement mais sûrement la conscience de notre racisme systémique, un regard sur la vie de ce musicien et anthropologue est indéniablement éclairant. Il lui fallait des couilles en acier, à ce Johnny Clegg, pour défier sa communauté blanche en Afrique du Sud en plein apartheid, et pour plonger, avec une rare profondeur, dans la culture de l’autre.

Il a été le premier Blanc à affirmer sur les scènes du monde son opposition à l’apartheid. Le premier, aussi, à proposer une hybridation des sonorités de la pop rock occidentale et de celles du mbaquanga, une musique sud-africaine dans laquelle se mélangent différents styles de musique rurale et de chants choraux. « Pour déchiffrer le XXIe siècle, disait-il en 1998 au magazine Libération, on devra miser sur la schizophrénie culturelle. ». Ou, autrement dit, il faudra embrasser l’interculturalisme. La chose paraît évidente aujourd’hui. Elle l’était un peu moins au début de la carrière de Johnny Clegg.

 

Mais le Zoulou Blanc n’a pas toujours été homme de métissage.

 

J’ai été par exemple fasciné de découvrir que son initiation à la culture zoulou s’est d’abord faite dans le rejet radical de sa propre culture juive et des innovations musicales occidentales dont il avait vent mais dont il ne se souciait guère. En entrevue avec le chanteur Renaud en 1986 à l’émission Les enfants du rock, il raconte que sa mère avait peur « que les Zoulous lui volent son fils ». Et il dit ceci : « Quand les Blancs s’intéressaient aux Beatles et aux Rolling Stones, je faisais de la musique et de la danse zouloue. Je savais qu’il se passait quelque chose du côté du Royaume-Uni, mais ça ne voulait rien dire pour moi. »

Il faut parfois oser cette radicale incursion dans la culture et la pensée de l’autre pour mieux revenir à soi et pour inventer une forme neuve. Johnny Clegg incarne bellement cette idée.

 

Johnny Clegg et la question d’identité

 

Pour un Québécois francophone qui a grandi en se faisant souvent enseigner que la culture du voisin anglophone était une menace à sa propre survie, puis qui s’est départi de cette idée pour comprendre que l’altérité anglophone constituait aussi une part de sa propre identité, puis qui a pris conscience d’un autre récit national en découvrant le sort injuste subi par les Autochtones de son pays, l’identité est une chose complexe.

 

Une affaire impossible à définir.

 

La vie de Johnny Clegg, un Blanc aux origines juives qui s’est immergé dans la culture zoulou pour mieux comprendre qui il était, résonne ainsi fortement en moi.

« Les Zoulous savaient quelque chose sur l'être humain et sur la masculinité que mes racines occidentales ne pouvaient pas m'apporter », disait-il à la fin des années 90. Il ajoute parfois qu’en tant qu’enfant né d’un père qu’il n’a jamais connu, qui a vécu dans différents pays (l’Angleterre, puis l’actuel Zimbabwe et finalement l’Afrique du Sud), il a résolu sa « crise identitaire » au contact des Zoulous.

 

« Je pense que pour découvrir qui tu es, dit Johnny Clegg en entrevue avec un magazine sud-africain, il faut savoir abandonner ce que tu crois être. Toutes les cultures ont le même fondement humain, peut-être ne faut-il pas s’attacher trop aux codes de la culture dans laquelle on est née, pour mieux explorer ce que nous sommes vraiment à travers les codes de différentes organisations sociales. »

 

Des propos passionnants. Une vie hors-norme. Johnny Clegg restera, quelque part dans mon arrière-plan de vie, comme une référence vers laquelle on ne se lasse jamais de revenir.

Johhny Clegg sera en spectacle le 19 octobre, à la Salle Wilfrid-Pelletier

 

 

À propos de l'auteur : Actuellement recherchiste pour les entretiens de la série Chez Georges-Emile à la Place des Arts, Philippe Couture est également journaliste culturel et chroniqueur radio.

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