Marie-Jo Thério
Maryse Boyce - 27 février 2020

L’album La Maline : 20 ans à catalyser la créativité

La Maline, deuxième album de Marie-Jo Thério, atterrit en 2000 dans le paysage musical québécois francophone. Retour sur la réception de ce disque singulier au moment de sa parution et rencontres avec des artistes dont cet opus insoumis et émouvant a infléchi le parcours ou nourri les élans créatifs. 

 

Après la sortie de Comme de la musique, un premier disque plutôt sage paru en 1995, le public qui se rend au Studio-Théâtre de la Place des Arts (aujourd’hui nommé salle Claude-Léveillée) pour écouter Marie-Jo Thério découvre avec étonnement l’intensité de sa créatrice. « J’ai assisté à son premier spectacle après la sortie de l’album, se remémore la journaliste culturelle Marie-Christine Blais. Dans la salle, nous sommes tous restés complètement surpris. Tout à coup, on voyait une autre personne, qui n’avait aucun rapport ni avec l’album ni avec l’idée qu’on se faisait d’une chanteuse au Québec. »

 

« Quand La Maline est arrivé en 2000, c’était une sorte d’“objet musical non identifié” », poursuit-elle. Ce deuxième album, lui, est fidèle à l’essence de cette artiste insaisissable, que la journaliste compare à Jean Leloup, « le seul autre artiste d’ici qui me surprend et me fascine autant que Marie-Jo Thério ».

 

Cœur à cœurs

 

C’est avec un dévouement total au projet, en pleine communion avec ses complices Érik West Millette et Bernard Falaise, que Marie-Jo Thério a vécu la création La Maline. « Nous avions l’envie féroce que le public l’écoute, mais pour des raisons artistiques; ce n’était pas un travail de marketing, précise la musicienne. C’était comme lancer une bouée à la mer; c’était une envie très sincère et organique. »

 

C’est justement cette sincérité jusqu’à la vulnérabilité qui revient dans les témoignages d’artistes qui ont été marqués par cet album. « Marie-Jo Thério travaille à cœur ouvert, avec beaucoup d’honnêteté. Moi aussi j’ai cette approche, explique Michel Rabagliati, auteur des bandes dessinées à succès de la série Paul, qu’il a lui aussi commencée il y a 20 ans. Je m’ouvre un peu les veines sur le papier, et je la trouve très généreuse d’aller au fond d’elle-même et de nous donner autant. »

 

L’autrice et scénariste Sarah-Maude Beauchesne aura 30 ans cette année. C’est au cégep qu’elle est entrée en contact avec La Maline. Malgré la génération qui la sépare de la créatrice de l’album, celle que l’on connaît entre autres pour le roman Cœur de slush et comme scénariste du Chalet et de L’Académie ressent une véritable onde de choc à l’écoute de l’album.

 

« Mes dix-huit ans ont été l’année où j’ai tout vécu : de la peine, mais beaucoup d’euphorie aussi. Quand j’ai entendu la chanson “Café Robinson” [qui figure sur La Maline], on aurait dit que c’était mon histoire, que Marie-Jo Thério parlait du gars dont j’étais amoureuse. J’ai été happée par sa capacité à me parler à moi, à travers ses chansons. »

 

Le courage d’être soi

 

À la collégienne Sarah-Maude Beauchesne, qui écrivait déjà des ébauches de romans et caressait le rêve de publier ses textes, les mots de Marie-Jo Thério ont donné un exemple de création sans compromis. « La Maline a été un déclencheur pour moi. L’album a influencé mon style d’écriture et la façon dont je voulais l’assumer, tout autant que L’Amant de Marguerite Duras ».

 

Pour la musicienne et compositrice Marie-Pierre Arthur, qui terminait il y a 20 ans ses études en musique et en sortait avec beaucoup de questionnements quant à son avenir, la rencontre avec La Maline a été un baume autant qu’une catharsis. « L’album m’a révélé ma nature », se souvient-elle. Habituée à l’université à aborder la musique de manière cérébrale, elle découvre sur l’album phare de Marie-Jo Thério une musique qui s’insinue en elle par le corps et le cœur.

 

L’expérience modifie durablement sa démarche musicale. « En écoutant cet album, je me suis dit : je dois arriver à être aussi authentique. Pour la première fois, je voulais trouver une façon d’écrire des mots et de les chanter. »

 

Marie-Christine Blais abonde dans le même sens : « Marie-Jo Thério n’est pas une chanteuse qui fait de la musique, c’est une musicienne qui chante, une compositrice qui chante. C’est complètement différent de ce que faisaient les chanteuses populaires à l’époque. Et elle travaillait avec des musiciens exceptionnels, qui tripaient avec elle. »

 

Pour Michel Rabagliati, La Maline est pratiquement devenu un outil de travail. « Quand je fais jouer cet album, je sais que je vais être dans le bon état d’esprit pour travailler », dit-il, ajoutant que peu de disques ont ce rôle pour lui. « C’est une espèce d’âme sœur invisible pour moi. »

 

Résister à l’usure du temps

 

Alors qu’on soulignera ses vingt ans cette année, l’opus semble ne pas avoir pris une ride. Vraisemblablement parce qu’il ne s’inscrit pas dans les codes de l’époque qui l’a vu naître. « C’est un disque qui vieillit admirablement, s’enthousiasme Marie-Christine Blais. Il n’y a rien à changer sur ce disque-là. »

 

Néanmoins, sa créatrice ne se cantonne pas dans ses vieux succès. « Marie-Jo Thério ne se contentera jamais de refaire la chanson exactement comme elle l’a enregistrée, ça ne l’intéresse pas, dit la journaliste culturelle. Elle continue de faire des expériences : ce n’est pas le succès qu’elle aime, c’est la musique. »

 

Marie-Jo Thério — Le 20 de La Maline prend l’affiche les 26 et 27 novembre 2020 à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

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