En résidence : La Croustade sur un terrain ludique et glissant
Jeune compagnie de cirque à la poursuite d’un nouveau langage scénique, La Croustade unit Vincent Jutras et Éline Guélat dans une démarche physique vigoureuse et dans un désir de se libérer des codes de leurs disciplines circassiennes respectives. Regard sur la pratique acrobatique et chorégraphique de ce duo en résidence à la Place des Arts en avril.
Au fil de leurs parcours respectifs et de leur formation à l’École nationale de cirque, ces deux-là ont tout expérimenté. À la fois contorsionniste et spécialiste du mât chinois et de la roue Cyr, Éline Guélat est tombée dans la marmite du cirque dès l’âge de 6 ans. Elle pratique un cirque clownesque et poétique, qui multiplie les images fortes. Vincent Jutras, issu du monde du skateboard, puis de la danse urbaine et contemporaine, a développé à l’école une pratique professionnelle de planche coréenne au style singulier.
Mais voilà que, désireux de revenir aux bases, ils se départent maintenant de leurs équipements et accessoires pour inventer une esthétique nouvelle, tirant profit de leurs physiques puissants sans s’appuyer sur les mécanismes connus des disciplines de cirque, dans un espace dépouillé où seuls les corps agissent et percutent ce qui les entoure. En résidence de création à la Place des Arts, ils poursuivent un travail entamé l’an dernier autour d’un spectacle intitulé L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent, puis entament une nouvelle recherche, appuyée sur une scénographie arrondie et glissante, qui mènera peut-être un jour à un spectacle qui porte pour le moment le titre Balbutiements.
« Dans les deux cas, il s’agit pour nous d’explorer et de créer en toute liberté pour tenter de découvrir, par essais et erreurs, quels seront notre langage commun et notre identité comme duo de metteurs en scène », explique Vincent Jutras. « Nous en sommes à nos premiers essais de mise en scène et de chorégraphie, à l’étape où nous définissons quel sera notre ADN, quels seront notre poésie et notre vocabulaire », ajoute Éline Guélat. Pour agir comme œil extérieur et les aider à construire un univers esthétique unique, ils ont sollicité les lumières du comédien Didier Lucien pour L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent, puis de la danseuse Elie-Anne Ross pour Balbutiements. « On veut voir où ça nous mènera de se mettre à nu de nos disciplines de cirque. Ça nous mène par exemple à travailler sur la texture du vêtement », surenchérit-elle.
« Dans les deux cas, il s’agit pour nous d’explorer et de créer en toute liberté pour tenter de découvrir, par essais et erreurs, quels seront notre langage commun et notre identité comme duo de metteurs en scène »
L’après-midi un an plus tard
Pandémie oblige, un an s’est écoulé depuis la première résidence autour du projet L’après-midi tombe quand tes biscuits se ruinent. Dans la salle de répétition, le bonheur de retrouver l’univers de cette œuvre est manifeste. Plus la journée avance, plus Vincent et Éline réalisent que l’année de pause a fait mijoter les idées, qui paraissent revivifiées, aptes à nourrir des improvisations inspirées et à permettre l’exploration d’ambiances variées. Les contours du futur spectacle restent encore à dessiner : le duo tient à rester ouvert à ce qui surgit.
Une chose est sûre : sans viser directement le jeune public ni se cantonner dans une esthétique « enfantine », ils se sentent proches de l’état d’esprit de l’enfant et cherchent à en reproduire le ludisme décomplexé, la légèreté assumée et le regard naïf et gourmand sur le monde. « On veut que l’adulte retrouve son âme d’enfant, dit Vincent Jutras. On pense que cet état d’esprit peut amener des angles de réflexion inédits, qu’il y a là un territoire fécond et propice pour envisager le réel autrement. » Et ce, grâce à des aspects ludiques, « qui peuvent être des outils pour aider l’adulte à traverser certaines épreuves, même s’il n’ose pas souvent s’en servir ».
Balbutiements ou l’art de la glisse
Au jour quatre de la résidence, les artistes Adrien Malette-Chénier et Agathe Bisserier se joignent à Vincent et Éline pour entamer la recherche sur Balbutiements. Le sol est recouvert de vinyle et de silicone. Deux rampes, semblables à des rampes de skateboard, découpent l’espace et sont prêtes à accueillir les mouvements acrobatiques.
Éline raconte : « On est partis d’un jeu que Vincent et moi faisions enfants, chacun chez soi, à des milliers de kilomètres de distance [Vincent à Candiac, Éline en Suisse]. Il s’agissait d’enfiler de gros bas de laine pour glisser dans les couloirs de la maison, après les avoir vaporisés d’une substance qui permettait de glisser sur le sol! »
« On a transformé la salle de répétition en grand espace de glisse. Pendant deux jours, on s’agite sur le sol glissant et sur les rampes, qui constituent une sorte d’appareil acrobatique sur lequel on tente de glisser le plus loin possible, de tomber avec panache, de se péter la gueule avec style, toujours dans un esprit de ludisme et de plaisir », précise Vincent.
Se faire mal en souriant : voilà le mantra de ces jeunes artistes désireux de retrouver la joie pure de l’enfant. On en a bien besoin.
Le programme L’Art en soi, rendu possible grâce au soutien financier de la Fondation de la Place des Arts et ses partenaires, offre un appui aux artistes dans le but de faciliter la création et le déploiement d’œuvres originales. Les Résidences d’artistes procurent aux créateurs des conditions optimales d’exploration, d’expérimentation ou de production d’une œuvre, soit en salle de répétition ou de spectacle.
Crédit photo : Thibault Carron