gunilla heilborn
Crédit photo : Philippe Larocque - Place des Arts
Crédit photo : Philippe Larocque - Place des Arts
Véronique Champagne - 5 avril 2018

En résidence - Gunilla Heilborn : de Cohen aux étals des marchés

Du 28 mars au 8 avril, la chorégraphe, cinéaste, productrice et interprète suédoise Gunilla Heilborn est en résidence artistique à la Place des Arts afin de plancher sur son nouveau spectacle, Ceci tuera cela. La fin de son séjour sera consacrée à deux présentations de The Knowledge dans le cadre de l’événement Printemps nordique. Entrevue.

 

Comment se déroule votre résidence ?

La scénographe qui devait m’accompagner a dû se désister quelques jours avant notre départ pour des raisons familiales. Au lieu de travailler l’aménagement de l’espace pendant mon séjour, j’ai donc choisi de me concentrer sur la récolte du matériel sur le terrain.

 

Vous inspirer du quotidien fait-il partie de votre démarche artistique ?

Tout à fait. Lorsque j’étais en résidence à Londres pour The Knowledge, j’ai passé des heures à discuter avec des chauffeurs de taxi. Saviez-vous qu’ils doivent réussir un des tests les plus difficiles au monde, impliquant des études pendant cinq ans, pour pratiquer leur métier ? L’étendue de leur savoir est hallucinante !

 

Dans les derniers jours, je me suis beaucoup promenée à Montréal et j’ai pris énormément de photos. Les gens, les parcs, les espaces publics... j’ai d’ailleurs adoré vos marchés : la disposition organisée et esthétique des fruits et des légumes au marché Jean-Talon m’a semblé extrêmement intéressante ! Le cerveau aime l’ordre.

 

Je suis aussi allée à l’exposition sur Leonard Cohen [au Musée d’art contemporain, NDLR]. J’en étais une grande admiratrice pendant ma vingtaine… j’étais celle qui jouait de la guitare et endormait tout le monde en fin de soirée ! Pouvez-vous croire que l’appartement que j’ai loué pour mon séjour se trouve en face de celui où l’artiste logeait sur le Plateau-Mont-Royal ?

 

Pourra-t-on sentir cette inspiration bien montréalaise dans Ceci tuera cela ?

Lorsque je collecte du matériel pour une production, je ne sais jamais comment tout va s’imbriquer à la fin. Mes idées tracent leur chemin; comment se rejoindront-elles ? Une chose est certaine : plusieurs points d’inspiration se sont dessinés dans les derniers jours.

 

Est-il possible de connaître la « grande ligne » de cette nouvelle production ?

Ceci tuera cela est une citation d’une œuvre de Victor Hugo. Dans Notre-Dame-de-Paris — et je n’ai lu pour l’instant que le chapitre dont il est question —, un prêtre regarde une église, livre en main, et annonce que « ceci tuera cela », en référence au livre envers l’Église. Mais faisait-il à la fois allusion au symbole clérical ou à la bâtisse ? Les deux niveaux sont intéressants.

 

On dit que l’architecture était une première forme d’écriture. Chaque pierre portait alors un message, et la construction racontait une histoire, une mémoire. Puis, il y a eu les livres, dans lesquels le savoir pouvait évoluer de façon plus linéaire. Ce lien entre la mémoire, les livres et l’architecture m’inspire énormément.

 

La mémoire est en effet au cœur de Ceci tuera cela, un thème qui sera abordé dans deux autres productions, et qui a aussi été touché dans The Knowledge. Pourquoi vous fascine-t-elle autant ?

Toutes ces productions sont inspirées d’une lecture qui m’a soufflée : The Art of Memory de Frances Yates. Je me suis alors lancée dans un travail de recherche exhaustif dans lequel j’ai amassé un vaste volume de matériel, que je veux partager.

 

Vous l’aurez deviné : ce qui se déroule entre les deux oreilles m’intéresse. Je suis d’ailleurs une personne très cérébrale. J’ai déjà dansé, mais maintenant j’aime réfléchir, apprendre, et j’ai un petit côté professeur en moi. Je ne suis pas une spécialiste de quoi que ce soit : j’aime lire sur tout, et ce qui me plaît, c’est de visualiser cet immense champ de connaissances disparates, puis de tisser des liens entre tout, même ce qui ne semble pas corrélé a priori.

 

Qu’imaginez-vous pour votre nouvelle production ?

J’aimerais créer un système formé par des centaines de connexions qui représente en quelque sorte la mémoire collective du monde entier… Toute une ambition, n’est-ce pas ? (rires) Je ne sais pas si je vais réussir, mais l’exercice est amusant...

 

Comment cela s’articulera-t-il sur scène ?

Je visualise une production où le texte est central, comme dans The Knowledge, mais qui inclut davantage de matériel physique sur scène ; peut-être un travail de construction ? L’univers sera intimiste, et l’ambiance penchera entre un humour sec ironique et une douce mélancolie, un style qu’on me reconnaît bien. L’idée de ne pas être seule sur scène me plaît. Peut-être y aura-t-il la présence d’un(e) assistant(e), un peu comme ce que l’on voit chez les magiciens ?

 

Que voulez-vous tirer de plus de votre résidence avant votre départ ?

Je prépare une présentation-atelier de mon nouveau spectacle devant des artistes locaux. Lorsque je travaille sur une production solo, ce genre d’exercice me force à sortir de ma tête et à essayer d’organiser mes idées pour les autres. C’est essentiel !

 

Vous êtes bien avancée dans Ceci tuera cela, mais on sent encore la fondation souple de votre projet. Vos productions sont-elles toujours en constante évolution jusqu’à la première représentation ?

Et au-delà ! Je retravaille par exemple The Knowledge, afin d’adapter certains passages en anglais [la pièce originale est en suédois, NDLR]. Et pourquoi ne pas ajouter quelques citations en français ? J’ai après tout étudié la langue pendant 6 ans… mais cela date de 30 ans. Je comprends bien, je lis un peu, mais parler, c’est difficile. Je manque de pratique !

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