En résidence – Marie-Ève Quilicot dans le ventre de la bête
Crédit photo : Thibault Carron
Crédit photo : Thibault Carron
Philippe Couture - 29 mars 2021

En résidence – Marie-Ève Quilicot dans le ventre de la bête

Éclairage plein feu dans la salle de répétition G de la Place des Arts, où apparaissent des créatures mi-animales, mi-humaines, barbouillées de charbon ou vêtues de perles. En résidence de création à la Place des Arts à la fin mars, la danseuse et chorégraphe Marie-Ève Quilicot a inventé un univers bestial esthétisé pour sonder les sous-couches les plus primitives et pulsionnelles de l’être humain.

 

Cruauté, bestialité, pulsions originelles. Depuis toujours, Marie-Ève Quilicot se passionne pour les manifestations du « primitif » chez l’humain et considère la danse comme l’espace privilégié pour les laisser s’exprimer. L’être humain est « consommé par la dualité entre le pulsionnel et le civilisé », selon elle. « C’est le versant pulsionnel qui m’intéresse en tant que chorégraphe, ajoute-t-elle, parce que la scène est le seul endroit public où il a droit de cité. Avec le spectacle Les épines, on crée une arène dans laquelle il est permis de perdre le contrôle et de dévoiler sa face cachée, son côté sombre, sa dimension cruelle et bestiale. »

 

 

Avant même d’avoir terminé ses études en danse à l’UQAM, Marie-Ève Quilicot parcourait le monde avec Dave St-Pierre dans les spectacles La pornographie des âmes, Un peu de tendresse bordel de merde et Foudres. C’est notamment auprès de lui qu’elle a développé un goût pour une danse « pulsionnelle » – le travail de Dave St-Pierre, même s’il est par moments romantique, flirte beaucoup avec le libidinal et le trop-plein. 

 

Également inspirée par les plateaux encombrés et l’ambiance « animale » de certains spectacles d’Alain Platel, par l’intensité émotive et sonore des pièces de Romeo Castellucci ou encore par l’esthétique chargée et colorée du cinéaste Guillermo del Toro, elle n’a pas peur d’une danse « un peu sale », en même temps « glamour et grandiose ».

 

« C’est le versant pulsionnel (de l'être humain) qui m’intéresse en tant que chorégraphe, ajoute-t-elle, parce que la scène est le seul endroit public où il a droit de cité. Avec le spectacle Les épines, on crée une arène dans laquelle il est permis de perdre le contrôle et de dévoiler sa face cachée, son côté sombre, sa dimension cruelle et bestiale. »

 

Des corps venus de l’au-delà

 

Ses interprètes, enthousiastes à l’idée de révéler leur part d’animalité, sont aussi des esthètes à travers lesquels apparaîtra « le contraste entre une intériorité en proie aux flammes et un extérieur beau et soigné », annonce la créatrice. Surtout, ils sont des athlètes aux physiques puissants, « généreux de leurs corps et de leurs personnes », qui incarneront une certaine idée du dépassement de soi et de la démesure corporelle. Après ses années de tournée avec Dave St-Pierre, Marie-Ève Quilicot s’est en effet jointe au Cirque du Soleil (dans le spectacle Love), puis le Cirque Éloize (dans la pièce Seul ensemble). À ses yeux, le cirque acrobatique et la danse contemporaine ne font plus qu’un.

 

 

Quand on ouvre la porte de la salle de répétition G, on découvre en effet l’acrobate David Ayotte, spécialiste du mât chinois, en pleine répétition avec l’artiste suisse Jérôme Hugo, connu pour ses acrobaties sur planche coréenne. Dans Les épines, on les retrouve pourtant dans un tout autre contexte, sans leurs accessoires de cirque, avec leur corps comme seuls outils.

 

 

« Ils ont des physiques virils et c’est une qualité physique qui m’intéresse, mais je les fais aussi travailler dans la lenteur et la contemplation, parfois à contre-courant, dit Marie-Ève Quilicot. Ce qui m’intéresse est leur intensité, leur capacité à aller dans une physicalité à 300 %, un peu “over the top”. J’aime quand l’effort est palpable, quand le spectateur peut voir que ça fait mal. Ça montre les limites de l’humain et en même temps son pouvoir. On est à la fois dans la force et la vulnérabilité. »

 

À leurs côtés, il y a aussi la danseuse Sara Harton, « formée en ballet, mais dansant en lignes pures avec une sorte d’irrégularité singulière », note la chorégraphe. La distribution est complétée par Marie-Ève Quilicot elle-même et par le bboy Christian Garmatter. « Il peut tout faire, il est comme un chat », dit-elle. 

 

 

Tableaux vivants

 

Marie-Ève Quilicot profite de ses sept jours de résidence à la Place des Arts pour tester des univers visuels et valider des images. « Je crois que la pièce va se scinder en deux univers complètement différents, le premier très tamisé, créant une impression de clair-obscur lointain, puis un deuxième univers dans lequel on va basculer vers des matières plus farineuses et un éclairage puissant. »

 

 

À travers ces deux paysages se dessineront aussi cinq chapitres, la chorégraphe voulant explorer tour à tour le splendide, la cruauté, la terreur, l’impulsivité, puis ce qu’elle appelle le « pivot », c’est-à-dire le moment où l’homme primitif se tourne « vers le besoin d’aller vers l’autre et d’appartenir à un groupe, commençant à se civiliser ».

 

De l’animal à l’homme, il n’y a qu’un pas.

 

 

Le programme L'Art en soi, rendu possible grâce au soutien financier de la Fondation de la Place des Arts et ses partenaires, offre un appui aux artistes dans un but de faciliter la création et le déploiement d’œuvres originales. Les Résidences d'artistes procurent aux créateurs des conditions optimales d'exploration, d'expérimentation ou de production d'une œuvre, soit en salle de répétition ou de spectacle.

 

Crédit photo : Thibault Carron

 

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