En résidence – José Navas : récolter l’espoir pour mieux le semer
En pause forcée par la pandémie, le chorégraphe et danseur José Navas a ressorti de ses tiroirs un projet qu’il désirait réaliser depuis longtemps. Avec Love Songs for Bill, il souhaite rendre hommage de manière lumineuse à son amoureux mort il y a maintenant 25 ans.
Dans la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, cet « immense espace à la fois noble et élégant », comme il le qualifie lui-même, le chorégraphe José Navas a passé cinq jours avec son équipe en ce mois d’avril à peaufiner et à articuler les quatre courts chapitres qui composeront le spectacle. « Avec ces quatre solos, j’essaie à ma façon de créer quatre chansons en mouvement, quatre petits tableaux qui représentent pour moi quatre moments de ma vie avec William Douglas », chorégraphe canadien qui lui avait dédié sa dernière création.
Billie Holiday, PJ Harvey, Jean-Sébastien Bach et une chorale d’oiseaux captée en pleine forêt amazonienne remplissent l’espace sonore, alors que le corps de Navas se déploie dans le vaste espace scénique de la plus grande salle de la Place des Arts.
L’espoir malgré le virus
La pandémie a coupé les ailes du plus récent spectacle de groupe de José Navas, Winterreise. Dans la ville mise sur pause, seul dans son studio, l’artiste a écouté le silence, qui « invite à une sorte de création plus honnête, qui ne répond plus à une date ou à une tournée déjà fixée ».
Le coronavirus et le sentiment de peur qu’il a provoqué n’étaient pas sans lui rappeler l’hécatombe causée trois décennies plus tôt par un autre virus, lequel a d’ailleurs emporté son conjoint.
« Je réalise à quel point l’énergie de la scène me manque. C’était d’une grande beauté d’avoir une semaine pour travailler sur ce projet de façon intensive, d’avoir une continuité en cette période de pandémie. »
« Quand William est mort du sida, je pensais que c’était la fin de moi aussi, confie-t-il d’une voix posée. À cette époque, on pensait que c’était la fin de beaucoup de choses. Mais la vie continue : il y a eu un lendemain. Cela me donne de l’espoir de penser qu’il y aura un après-pandémie [de COVID-19] aussi. Penser à William me fait penser à cela. » C’est cette confiance en l’avenir qu’il veut transmettre avec ce nouveau spectacle en gestation.
La résidence s’est tenue sous le signe de la joie. José Navas se dit ému d’y avoir retrouvé ses proches collaborateurs, qu’il n’avait pas revus depuis la première de Winterreise, à la Cinquième Salle de la Place des Arts, en février 2020 dans le cadre de la saison de Danse Danse. « Je réalise à quel point l’énergie de la scène me manque, dit-il. C’était d’une grande beauté d’avoir une semaine pour travailler sur ce projet de façon intensive, d’avoir une continuité en cette période de pandémie. »
Le bonheur dans la collaboration
Deux objectifs ont orienté cette semaine de résidence : le premier était de créer « le brouillon » de la prochaine proposition de sa compagnie de danse, Flak, et le deuxième, de créer un film de danse à facture documentaire sur le processus. Pour ce faire, le chorégraphe souhaitait sortir de son réseau et collaborer avec un réalisateur d’une autre génération.
Le choix s’est arrêté sur Maxime Pelletier-Huot, qui « s’est montré d’une grande générosité ». Ce dernier a donc suivi de près, pendant les cinq jours de la résidence, José Navas et ses fidèles collaborateurs – le concepteur d’éclairages Marc Parent, le directeur technique Pierre Lavoie ainsi que la conceptrice de costumes Sonya Bayer – dans l’élaboration des tableaux qui constitueront le nouveau spectacle.
Prendre les moyens de la rencontre
Cette captation visuelle permettra d’incarner le projet Love Songs to Bill sous une autre forme et de le faire voyager par les circuits des festivals de films, sans pour autant renoncer à le faire vivre sur scène un jour. « Je visualise ce jour, dit le chorégraphe. Si cela prend quelques mois, tant mieux, si cela prend quelques années, il en sera ainsi, mais il y aura un après. Ce spectacle me donne cet optimisme, et j’espère le communiquer à mon public aussi. »
En attendant l’œuvre issue de ces retrouvailles, la résidence a permis d’en établir la trame. Alors que le réalisateur Maxime Pelletier-Huot amorcera le montage du film dans les prochaines semaines, le chorégraphe s’appropriera les mouvements des quatre tableaux et en créera un cinquième pour compléter la proposition.
« Chaque jour, au studio, je dois danser les cinq solos pour mieux les connaître. D’ici un an ou deux, ils seront vraiment dans mon corps et prêts à présenter au public, précise le danseur avant de conclure, un sourire traversant sa voix chantante : le travail commence maintenant. »
Tout comme la Place des Arts, Danse Danse continue d’offrir des espaces de création aux artistes. José Navas a pu occuper la scène de la Salle Wilfrid-Pelletier dans le cadre de son programme de RÉSI(D)ANSES.
Crédit photo : Thibault Carron