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En résidence – Ford Mckeown Larose : à la recherche des racines
Crédit photo : Thibault Carron
Crédit photo : Thibault Carron
Philippe Couture - 14 juillet 2021

En résidence – Ford Mckeown Larose : à la recherche des racines

En résidence de création à la Place des Arts avec trois autres interprètes de sa compagnie, Forward Movements, Ford Mckeown Larose remonte aux sources culturelles de ses danses préférées, le boogaloo et le strutting. 

 

Muscles tendus, gestuelle robotisée et physicalité extrême : depuis l’enfance, Ford Mckeown Larose est un « popper ». Depuis 2007, il intègre le popping (ou le boogaloo), cette danse de rue hypnotisante, à sa démarche chorégraphique contemporaine. Il en a utilisé le langage pour sonder sa passion pour la science (dans le spectacle Amalgame 2.0) et son rapport à Dieu (dans la pièce Dieu 3).

 

Même s’il est désormais chorégraphe et se fait doucement un nom dans l’univers effervescent de la danse contemporaine montréalaise, il se réserve néanmoins du temps pour enseigner la danse, donner des ateliers et organiser des événements. Chacun des rôles qu’il tient nourrit ses créations, selon lui. « Je cherche toujours à tout décloisonner. »

 

On peut dire la même chose de ses œuvres, lesquelles mettent son interprétation singulière des codes du popping au service d’images fortes et de réflexions à caractère scientifique ou métaphysique. « J’aime bien mélanger des trucs qui, a priori, ne semblent pas bien aller ensemble, mais qui sont interreliés. C’est aussi vrai dans ma vie personnelle : j’ai autant voulu être danseur que j’ai adoré mes études en sciences pures, en plus de vouloir devenir illustrateur ou architecte. La danse me permet de combiner tout ça aujourd’hui. J’aime comprendre ce qu’il y a en dessous des choses, et j’ai le désir d’aspirer les spectateurs dans un univers précis par une danse que je veux la plus fascinante et la plus hypnotique possible. Je me vois comme un scientifique qui fait des essais et erreurs. Et qui vous entraîne passionnément avec lui dans ses découvertes. »

 

 

Anthropologie du popping

 

Dans la salle de répétition de la Place des Arts, le danseur et chorégraphe s’active avec les interprètes Basilio-Augusto Rabanal Ayansen, Darianne Ramirez-Blanchette et Klyvens Sanon. L’œuvre que le groupe commence à construire s’intitule Maestria. Reconstitution de la riche histoire du popping, à partir des recherches de Ford Mckeown Larose et de son acolyte Rashaad Hasani Pearson, doublée d’une réflexion sur « l’atteinte de la perfection », le spectacle alliera la psychologie du besoin de performance et l’anthropologie de la danse et de la culture afro-américaine.

 

« On retourne aux sources du strutting, l’approche robotique du boogaloo, en montrant tous les aspects de l’émergence de cette danse dans les années 1970, explique le chorégraphe. On tente de dépeindre la communauté qui l’a fait naître à San Francisco. On s’intéresse aussi à la culture qui s’est développée autour de cette danse et à la rivalité avec les danseurs de boogaloo d’Oakland. »

 

 

Une pièce sur l’histoire du strutting? Oui, mais pas exactement. Celui qu’on surnomme « The Mov3r » en parle comme d’une pièce « futuriste », racontant le passé à partir de l’actualité brûlante, voire d’un moment futur. « L’un des challenges est de faire une œuvre historique et d’aller dans les entrailles de la danse, tout en restant dans l’ici et maintenant. Autrement dit, on veut faire une reproduction, ou une restitution, mais qui soit vraiment façonnée par une énergie du présent. Notre objectif est que ce ne soit pas didactique ni passéiste, et qu’on puisse revivre carrément l’expérience et s’en imprégner. »

 

 

Vers la compréhension de soi

 

À travers cette exploration des fondements esthétiques et sociopolitiques du strutting, Ford Mckeown Larose entame aussi une tentative de compréhension de ses propres racines. Il travaille à faire dialoguer les luttes antiracistes des communautés afrodescendantes de San Francisco avec sa propre expérience du racisme, dans son quartier Saint-Michel natal. Il réfléchit également aux paramètres de son apprentissage du boogaloo et de sa familiarisation avec la culture de la danse de rue. De quoi esquisser, au passage, un portrait social des quartiers de Montréal à forte proportion de populations afrodescendantes.

 

 

« Tout est lié, dit-il. La danse se lie à la musique, qui est liée à l’environnement social et politique et à l’histoire. Je fais ce chemin-là à partir du strutting, et cela me ramène inévitablement au Québec, en tout cas à mon vécu, puis à des enjeux plus larges, comme l’histoire méconnue de l’esclavagisme au Québec. »

 

Il tient cependant à préciser : « Je ne fais pas d’amalgame douteux entre notre histoire et l’histoire des États-Unis. Je pense que les différences sont énormes même si la comparaison est utile. Au Québec, par exemple, la langue française a créé du rapprochement et une familiarité très réelle avec Haïti. Mais ça n’a pas empêché un racisme de l’ordre de l’inconfort subtil, difficile à nommer. Aujourd’hui, il faut savoir en parler. »

 

« La danse se lie à la musique, qui est liée à l’environnement social et politique et à l’histoire. Je fais ce chemin-là à partir du strutting, et cela me ramène inévitablement au Québec, en tout cas à mon vécu, puis à des enjeux plus larges, comme l’histoire méconnue de l’esclavagisme au Québec. »

 

Vous avez dit intensité?

 

Voilà les réflexions que l’artiste tente de traduire par la danse. La résidence artistique d’une semaine est pour le moins intensive. « On danse presque huit heures par jour, c’est complètement épuisant, mais c’est d’une grande richesse. On fait plein de tests. L’idée est de voir comment cette danse se manifeste dans nos corps. Puis on répète, on répète, et on répète les mêmes gestes. Sur le plan chorégraphique, c’est très exigeant. C’est une première étape de compréhension des mouvements, d’entraînement physique, d’appropriation physique. Et sur le plan intellectuel aussi : on fait un peu de théorie historique pour couronner le tout. »

 

 

Une telle résidence, courte et chargée, est une bénédiction pour Ford Mckeown Larose. « On arrive à se mettre rapidement dans le bon état d’esprit et à s’autocritiquer très vite, pour avancer », dit-il. Le strutting étant un style « très niché », il faut être « rigoureux » pour s’assurer de ne pas tomber « hors champ ». Un objectif que le chorégraphe et son équipe gardent bien à l’œil.

 

Le programme L’Art en soi, rendu possible grâce au soutien financier de la Fondation de la Place des Arts et ses partenaires, offre un appui aux artistes dans le but de faciliter la création et le déploiement d’œuvres originales. Les Résidences d’artistes procurent aux créateurs des conditions optimales d’exploration, d’expérimentation ou de production d’une œuvre, soit en salle de répétition ou de spectacle.

 

Crédit photo : Thibault Carron

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