En résidence – Andréane Leclerc : s’affranchir des frontières
Artiste de cirque pendant 20 ans, maintenant conceptrice, performeuse et cofondatrice de la compagnie Nadère arts vivants, Andréane Leclerc s’inspire de sa pratique de la contorsion pour l’exploration artistique et philosophique. Cette démarche l’a menée à concevoir une ambitieuse fresque en trois parties. Elle profitait d’une résidence artistique à la Place des Arts au début du mois d’avril pour concevoir le deuxième volet de la série. Explications.
« Pour moi, la contorsion est avant tout un renversement des enjeux de pouvoir, dit Andréane Leclerc. Pour avoir une pratique de la contorsion saine, on ne peut en aucun cas repousser des limites », sous peine de se blesser. Le constat semble contredire l’image impressionnante associée à cette discipline circassienne. « La limite est vraiment dans la perception du spectateur, soit dans un regard extérieur sur le corps contorsionniste », explique-t-elle.
Ce point de vue sur les limites la conduit à articuler sa réflexion autour de trois pôles : les relations entre soi et le monde, entre soi et l’autre, et entre soi et soi. « Je suis en train de concevoir un triptyque vivant, un paysage en trois temps où chacun des tableaux s’intéresse à l’une de ces limites principales », annonce l’artiste.
Observer les murs pour mieux décloisonner
C’est sur le deuxième volet de cette œuvre qu’elle a travaillé lors de son passage de six jours à la Place des Arts en ce début d’avril. Intitulée L’errant.e et s’inscrivant dans le triptyque À l’est de Nod, cette nouvelle création aborde notion de mur, qu’il s’agisse de celui qui délimite une frontière ou de ceux que l’on érige en soi. « Je suis dans une approche hétérotopique de l’espace afin de m’affranchir de ces murs », dit-elle. Conçue par Michel Foucault, la notion d’hétérotopie désigne des lieux qui sont bien concrets tout en échappant aux règles et aux normes habituelles.
On retrouve cette recherche de libération dans la forme même du spectacle, qu’elle cherche à éclater en s’inspirant notamment des penseurs Edgar Morin et Leopold von Sacher-Masoch. « Je cherche vraiment ces complexités, celles des langages, des écritures et des voix, pour être dans une approche qui n’est pas frontale ou unidirectionnelle. » Dans L’errant.e, les spectateurs seront libres d’arpenter la pièce où se produiront les artistes : « Il n’y a plus de devant, de dehors, de frontal. On fait juste accéder à des lieux imaginaires. »
La résidence à la Place des Arts a permis à Andréane Leclerc et à son équipe de tester un système interactif qui mettra en dialogue les trois artistes et la trame sonore du spectacle. « Je travaille à [mettre au point] un système qui va générer différentes interprétations et différentes visions : comment est-ce que, par les mouvements [des artistes], on peut composer la trame musicale avec laquelle elles sont en relation? On est vraiment dans la création de l’environnement en même temps que dans l’espace vivant des corps. »
Un espace où plonger
Dans son processus de création, Andréane Leclerc privilégie les périodes de création intensive. Cette résidence artistique à la Place des Arts avec les performeuses Ivanie Aubin-Malo, Sona Pogossian et Sonia Bustos ainsi que le reste de l’équipe lui a permis « une vraie plongée dans le projet », qu’elle qualifie d’extraordinaire. « Le fait d’avoir un vrai accès à un lieu du matin au soir, d’être installés, de laisser le dispositif en place, de ne pas avoir à le démonter, tout cela permet vraiment d’accéder à des profondeurs. On s’échauffe, puis c’est vraiment un voyage continu dans le projet. »
« L’équilibre n’existe pas, souligne-t-elle. Il s’agit de trouver comment être constamment en train de se rééquilibrer pour être finalement en harmonie avec ce déséquilibre. »
Malgré tous les bouleversements que la pandémie a occasionnés – mouvements dans l’équipe, échéanciers repoussés et multiples modifications au calendrier –, Andréane Leclerc voit d’un bon œil le « processus de valorisation de la démarche, de recherche, et le temps en salle en dehors d’un désir de production ». Le moment de la rencontre avec le public, lui, est encore incertain.
Pour garder le cap en ces temps pandémiques remplis d’incertitude, la conceptrice revient à ses apprentissages de contorsionniste. « L’équilibre n’existe pas, souligne-t-elle. Il s’agit de trouver comment être constamment en train de se rééquilibrer pour être finalement en harmonie avec ce déséquilibre. »
À l’est de Nod devrait prendre l’affiche à la fois sous forme de trilogie et de chapitres indépendants (La forêt, L’errant.e et L’abîme) en 2022 et en 2023.
Andréane Leclerc - conceptrice et chorégraphe
Ivanie Aubin-Malo - performeure
Sonia Bustos - performeure
Sona Pogossian - performeure
Pacale Tétrault - artiste intermédia
Félix-Antoine Morin - compositeur
Olivia Pia-Audet - conceptrice costumes
Myriam Stéphanie Perraton-Lambert - dramaturge
Peter Balov - directeur technique et de production
Geoffroy Faribault - producteur
Le programme L'Art en soi, rendu possible grâce au soutien financier de la Fondation de la Place des Arts et ses partenaires, offre un appui aux artistes dans un but de faciliter la création et le déploiement d’œuvres originales. Les Résidences d'artistes procurent aux créateurs des conditions optimales d'exploration, d'expérimentation ou de production d'une œuvre, soit en salle de répétition ou de spectacle.
Crédit photo : Thibault Carron