En résidence – Aly Keita, de l’empire mandingue à l’universel
Il était une fois l’héritier d’un royaume de l’ouest de l’Afrique, déchu parce qu’il ne pouvait pas marcher. Pour renverser l’humiliation subie par sa famille, il apprit à mettre un pied devant l’autre, puis, une victoire menant à une autre, unifia le territoire du Mali, du Burkina Faso, du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée pour créer l’empire mandingue. Bienvenue dans l’univers de Djata : conversations du Manden, dont l’équipe s’est récemment arrêtée dans les salles de répétition de la Place des Arts.
Le danseur Aly Keita s’est inspiré de cette épopée datant du 13e siècle pour sa pièce chorégraphique. Djata : conversations du Manden, sa première création, a été conçue en parallèle d’un parcours impressionnant comme interprète en danse et en cirque qui l’a mené de sa Guinée natale au Sénégal, puis au Canada, où il a notamment collaboré avec le Cirque Éloize et Cavalia.
« J’utilise le mouvement dansé pour me reconnecter à mes ancêtres et à mon identité profonde », mentionne l’artiste, qui partage son nom de famille avec l’empereur mandingue Soundiata Keita. « Dans ma vision artistique, le mouvement n’est jamais neutre : il est ancré dans l’histoire, la société, la pensée, les états émotifs et bien d’autres dimensions. »
En traitant de la petite et de la grande histoire dans un moment de vulnérabilité et d’affirmation, Aly Keita touche à la fois à l’actualité et à l’universel. « La danse, c’est pour moi une forme de guérison, un moyen de reconnexion à soi et à son environnement », explique-t-il.
« Dans ma vision artistique, le mouvement n’est jamais neutre : il est ancré dans l’histoire, la société, la pensée, les états émotifs et bien d’autres dimensions. »
La danse comme rencontre
L’ouverture et le partage ont infléchi la trajectoire du danseur, qui s’est installé ici après un projet d’échange entre de jeunes Guinéens et des Inuit d’Iqaluit pour le documentaire Circus Without Borders. Il consacre depuis une partie de sa vie professionnelle à l’animation d’ateliers incorporant la danse, le cirque et le chant pour créer des ponts par l’art. « Pour moi, la dimension relationnelle est imbriquée dans la dimension artistique », confirme-t-il.
Dans Djata : Conversations du Manden, la trame musicale se compose de percussions et de douces mélodies jouées à la sanza, un instrument souvent appelé « piano à pouces » qui occupe une place centrale dans la musique issue du Mandingue. C’est le Canadien d’origine écossaise Trevor John Ferrier qui en joue sur scène, ce qui réjouit le chorégraphe. « Je trouve encourageant de voir que les instruments du Mandingue sont partis dans le monde pour s’exprimer. »
Cent fois sur le métier
La résidence de création d’Aly Keita et ses complices à la Place des Arts, qui se déroulait du 27 novembre au 3 décembre derniers, arrive à une étape particulière du développement du projet, puisque celui-ci a été diffusé à Tangente en septembre dernier dans le programme Danses Buissonnières.
L’interprète chevronné conçoit l’importance de toujours pousser une œuvre plus loin, même après les premières représentations. « Quand je travaillais avec Cavalia [pour Odysseo, en 2018], nous faisions 14 spectacles par semaine, explique-t-il. Même si tu fais le même spectacle chaque jour, tu t’entraînes encore, parce qu’il faut garder la forme, toujours s’améliorer et ne rien négliger. »
En résidence, l’exploration a surtout été musicale et chorégraphique. Avec le musicien Trevor John Ferrier et la répétitrice Raffaela Siniscalchi, le créateur a approfondi son exploration du vaste répertoire musical mandingue afin d’ajouter au spectacle davantage de variations dans le rythme et d’interactions entre sa trame sonore originale et la musique traditionnelle.
Le danseur et chorégraphe a mis au point une technique percussive à l’aide de sa langue, avec laquelle il arrive à produire des variations rythmiques. « À un certain moment dans la pièce, on voit que ces sons de ma langue conduisent les percussions : il y a un échange qui se crée entre moi et le percussionniste, à travers ma langue. »
En incarnant un lien aussi direct entre corps et musique, l’exploration musicale qu’Aly Keita mène en résidence se répercute sur la chorégraphie, qu’il peaufine du même élan.
En attendant de prochaines diffusions de Djata : Conversations du Manden, qui devraient se confirmer pour l’été 2022, le danseur et chorégraphe continuera de faire évoluer sa création : « En tant qu’artiste, le travail n’est jamais fini. »
Le programme L’Art en soi, dont l’existence est rendue possible grâce au soutien financier de la Fondation de la Place des Arts et ses partenaires, offre un appui aux artistes dans le but de faciliter la création et le déploiement d’œuvres originales. Les Résidences d’artistes procurent aux créateurs des conditions optimales d’exploration, d’expérimentation ou de production d’une œuvre, soit en salle de répétition ou de spectacle.
Crédit photo : Thibault Carron