Beau Dommage : un héritage musical colossal réinterprété en version symphonique
Dans le Québec effervescent des années 70, six jeunes hommes et une femme à la voix d’or composent des chansons racontant la vie quotidienne et les textures de Montréal. C’est Beau Dommage. Pour célébrer ses 50 ans de présence dans l’univers musical québécois, des adaptations symphoniques de ses chansons résonneront dans la Salle Wilfrid-Pelletier au cours du concert-événement Beau Dommage Symphonique – Ça fait 50 ans qu’on se connaît. Conversation avec le directeur musical, Antoine Gratton.
Ils ont chanté l’amour et la romance sans excès de lyrisme, avec des mots simples et justes, dans Ginette ou dans La complainte du phoque en Alaska. Ils ont détaillé les joies et les travers de la vie urbaine, dans Tous les palmiers ou dans Montréal. Ils ont raconté l’amour des Québécois pour le hockey (dans Hockey) ou dépeint avec humour le rituel bien québécois du temps des fêtes dans 23 décembre. Ils ont manié, la plupart du temps, les guitares et les voix dans une tonalité folk décomplexée. Ils ont chanté en harmonie, à 2 ou 3 voix emmêlées, la plupart du temps. Et ils ont aussi osé les flûtes et les notes de piano dans des constructions sophistiquées empruntant aux codes du rock progressif, à la façon Jethro Tull, dans la mémorable Un incident à Bois-Des-Filions.
C’est cet héritage musical grandiose que célébrera le concert symphonique Ça fait 50 ans qu’on se connaît, une création chapeautée par les Productions Martin Leclerc et interprétée par l’Orchestre Métropolitain sous la direction du chef Adam Johnson, dans des arrangements pensés par le directeur musical Antoine Gratton avec la complicité de Beau Dommage. Ils ne jouent plus ensemble sur scène depuis longtemps, mais Michel Rivard, Pierre Bertrand, Marie Michèle Desrosiers, Pierre Huet, Réal Desrosiers, Robert Léger et Michel Hinton ne refusent jamais une occasion de se réunir et de célébrer l’œuvre qui les a rendus célèbres et que le Québec entier a tant fredonnée.
Le décor de nos vies
« Comme beaucoup de Québécois de ma génération, Beau Dommage était la trame sonore de mon enfance, raconte Antoine Gratton. Mes parents ont bien usé tous leurs disques! J’ai appris à jouer de la guitare en les écoutant. Ces chansons-là ont fait partie du décor de ma jeunesse autant que le papier peint sur les murs; elles sont imprimées dans mon ADN. Mais, au-delà de ce rapport personnel à l’œuvre, je pense que les artistes québécois d’aujourd’hui suivent leurs traces de bien des façons, notamment à travers des pratiques de chanson-récit, qui racontent des histoires très simplement, et par une inclination à chanter le quotidien, à poétiser les petites choses de la vie dans leurs chansons. Ça a certainement été mon cas quand je faisais carrière comme auteur-compositeur-interprète, mais nous sommes nombreux à avoir pris ce chemin! L’héritage est monumental. »
Aux yeux d’Antoine Gratton, Beau Dommage a traversé les époques sans prendre une ride en raison de la justesse avec laquelle le groupe se saisit du « narratif québécois » et de la « langue de Montréal », mais peut-être aussi et surtout par une pratique vocale fondée sur « des harmonies à trois voix », plus rares en musique pop francophone, mais qui donnent à leur musique un caractère universel et intemporel ainsi qu’une délicieuse petite touche « british ».
Une musique au fort potentiel symphonique
En plus des harmonies vocales, qui ont un caractère orchestral indéniable, la musique de Beau Dommage se prête bien à des adaptations pour orchestre symphonique en raison de son sens de la mélodie, selon Antoine Gratton.
« Notre approche a été de considérer d’abord les chansons dans leur plus simple appareil, réduites à leur plus simple expression pour en extraire assez purement la mélodie originelle, puis de partir de cette base dépouillée pour l’augmenter dans un jeu d’arrangements symphoniques variés. J’ai eu beaucoup de liberté. Les musiciens de Beau Dommage ont soif d’entendre leurs chansons dans des réinterprétations audacieuses. C’était un formidable terrain de jeu. »
Pour chanter les paroles canoniques de ces chansons connues de tous, le concert recourt à une grande diversité d’interprètes et à une belle variété de tessitures vocales, d’Alexandre Désilets à Coral Egan ou David Latulippe (entre autres).
« Le concert fait aussi de la chanson Un incident à Bois-Des-Filions sa pièce maîtresse, indique Antoine Gratton. Pour moi, cette chanson prog de 23 minutes est le grand chef-d’œuvre de Beau Dommage. Elle a déjà une facture orchestrale dans son écriture; elle est construite comme un opéra, en plusieurs mouvements. C’est notre Bohemian Rhapsody québécoise. Pouvoir la faire interpréter par un orchestre symphonique complet est une vraie chance. Ce sera grandiose. »
Ça fait 50 ans qu’on connaît Beau Dommage, comme le dit le titre de ce concert-événement. Parions que ces nouvelles versions nous donneront envie d’écouter le groupe pendant encore 50 autres années.