Andrew Balfour : la voix des soldats autochtones oubliés
Notinikew est une œuvre chorale qui sera présentée pour une première fois au Québec dans le cadre du festival international Montréal/Nouvelles Musiques. Andrew Balfour est le compositeur de cette œuvre interprétée par l’ensemble Dead of Winter, dont il est le directeur artistique.
Rencontre avec cet artiste d’origine crie qui est considéré comme une des grandes voix autochtones du Canada.
Pourquoi avoir choisi la musique classique pour vous exprimer?
J'ai été enlevé à ma famille biologique de la Première Nation Fisher River quand j'avais six mois, je suis donc considéré comme un « 60 scooper », c’est ainsi qu’on surnomme les enfants qui ont été retirés de leurs familles pour être adoptés par des blancs dans les années 60. J’ai grandi à Winnipeg dans une famille qui aimait la musique.
Je suis allé à l'université pour être trompettiste dans un orchestre. J’ai finalement bifurqué vers le chant choral au milieu des années 1995 pour partir à la recherche de mon identité autochtone en racontant des histoires. J'ai fondé l’ensemble Camerata Nova qui a récemment changé de nom pour Dead of Winter. C'est la quête d’une vie qui dure depuis 19 ans!
Quelle est l’histoire de Notinikew? Et pourquoi est-ce un opéra anti-guerre?
Cette œuvre se concentre sur des hommes autochtones qui sont allés se battre aux côtés des soldats de l’armée canadienne, d’égal à égal, lors de la Première Guerre mondiale. À leur retour, ils n’ont pourtant pas obtenu les mêmes droits que les autres soldats. Ça prouve toute l’hypocrisie de la guerre, alors qu’au 21e siècle, ça se bat toujours en Ukraine et ailleurs dans le monde. Ça témoigne que la guerre, c'est une folie de l'humanité qui n’est qu’une question de gain de territoire, pas d’amélioration des droits humains!
Est-ce important pour vous d’informer les gens sur ce pan de l’histoire qu’on connaît peu?
Certainement. Quand on enseigne l'histoire ou qu’on célèbre nos vétérans le 11 novembre, nous devons réaliser que nous ne nous souvenons pas de tout. Nous avons oublié les milliers d'Autochtones qui sont allés se battre, les centaines qui ont perdu la vie et les autres qui ont eu peur, comme les autres soldats. Eux aussi ont connu le pire de l'humanité et sont revenus marqués, mais ils n’avaient toujours pas le droit de voter, contrairement aux autres. Certains n'avaient pas accès à l'eau potable, comme c’est d’ailleurs toujours le cas dans certaines communautés du Nord, preuve que certaines inégalités existent toujours.
Quelles émotions/réactions souhaitez-vous créer chez le public?
Pour Montréal, nous avons traduit la narration en français en intégrant certains mots cris et anglais. C'est très fidèle aux récits autochtones qui changent constamment. La langue est différente, mais les émotions restent les mêmes.
J'espère que les gens qui assisteront au spectacle en ressortiront avec une vision différente des Autochtones. Nous parlons toujours du Canada comme étant une mosaïque de cultures, mais les Autochtones n’y ont pas un rôle actif. On accueille des gens du monde entier alors que la voix des Premières Nations peine à se faire entendre. Nous devons faire en sorte que cette voix soit la bienvenue à la table des décisions, comme les autres. D'après moi, ce seront les artistes qui feront ce changement, pas les politiciens ni les avocats.
Considérez-vous qu’il y a maintenant une plus grande place pour les autochtones en art?
Oui! Quand j'ai commencé il y a 25 ans, il n'y avait pas de musiciens autochtones ayant une formation classique. Maintenant, il y en a au moins une douzaine qui compose pour les orchestres, les chorales, les ballets ou les opéras. Au moins, nous avons notre place dans les arts et je suis vraiment fier de mes collègues qui font entendre leur voix. J'ai de la chance de vivre un rêve : faire de la musique pour gagner ma vie. Oui, il reste un long chemin à parcourir, mais c'est un début!
Notinikew sera présenté le 24 février prochain à la Maison symphonique dans le cadre du festival international Montréal/Nouvelles Musiques.