60 ans de spectacles en affiches : l’art graphique à l’avant-scène

Souvent jugé trop commercial par les puristes des arts visuels, le design graphique n’en est pas moins une forme d’expression illustrant son époque, tant par les techniques utilisées que par les mouvements sociaux dont il s’inspire. Cette volonté de mettre de l’avant sa créativité et sa richesse est devenue le crédo de Marc H. Choko, professeur émérite à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal, que nous avons eu la chance de rencontrer. Il est commissaire de l’exposition 60 ans de spectacles en affiches, laquelle est présentée dans le cadre du 60^e anniversaire de la Place des Arts. Cette dernière offre un éventail d’affiches de spectacles présentés en ses murs depuis son ouverture. Pleins feux sur l’évolution de l’art graphique dans le domaine du spectacle!  

Sur la photo : Clothilde Cardinal, Marc H. Choko, Marie-Josée Desrochers, crédit photo : Thibault Carron

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire des affiches présentées? 

Marc H. Choko : Une bonne affiche, c’est une œuvre d’art ; c’est incontestable. Mais, c’est une œuvre d’art d’un caractère très particulier, parce qu’il y a un client, il y a une époque datée et ça s’inscrit dans toutes sortes d’événements.  

Techniquement parlant, on voit l’évolution du graphisme et des moyens d’impression. On remarque le passage du dessin à la photo, puis un retour vers le dessin.  

Ça nous parle aussi de notre société ; on constate, à travers les affiches des premiers spectacles présentés à la Place des Arts, que plusieurs artistes étrangers – comme Charles Aznavour et Juliette Gréco – ont été invités pour contribuer à faire connaître l'établissement. On assiste au passage de certaines compagnies de théâtre qui contribueront à une production visuelle intéressante. Ce qui est fascinant, c’est de voir comment une même pièce ou un même opéra peut être traité par des approches différentes selon les graphistes. 

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de vos trouvailles?  

La première affiche de la Place des Arts, à ma connaissance, que je connaisse du moins, est celle de la campagne de financement de sa construction en 1959. C’est un grand graphiste montréalais, Allan Harrison, qui l’a réalisée. Ce n’était pas un affichiste conformiste, au contraire! Il était résolument moderniste, et même symboliste. L’affiche était abstraite; il s’agit d’un type de graphisme qui est complètement en contradiction avec ce qui va être mis de l’avant par la suite.

Give to Make it a Reality par Allan Harrison, 1959, archives de la Place des Arts

Chez Duceppe, dans les années 90, on a eu la chance d’accueillir l’un des grands affichistes polonais, Mieczyslaw Gorowski, qui est venu à Montréal comme enseignant à l’École de design pendant un an. Il a été engagé par Duceppe pour faire plusieurs affiches; elles sont très originales, parce qu’elles sont le reflet de l’approche très artistique et intelligente de l’école polonaise. Gorowski parvenait à résumer ce qu’on allait voir comme pièce de théâtre en illustrant un moment fort particulier. Ça, c’est le b.a.-ba d’une bonne affiche, mais l’exécution était impressionnante. 

Sur la photo : affiches de Gorowski, crédit photo : Thibault Carron

Le légendaire Vittorio Fiorucci, pour sa part, a produit les affiches de l’Opéra de Montréal pendant un certain temps, et elles sont assurément parmi les plus belles productions. Cela dit, il y en a eu d’autres – radicalement différentes, mais intéressantes –, comme les affiches d’orangetango ou de Mario Mercier.  

Sur la photo : affiches de VIttorio, crédit photo : Thibault Carron

La recherche d’anciennes affiches est complexe au Québec. Pourquoi? 

Lorsque je suis arrivé au Québec, en 1969, je collectionnais déjà les affiches depuis près de 10 ans. J’ai constaté qu’ici, une fois l’événement terminé, les vieilles affiches – plutôt que d’être conservées – servaient plutôt à isoler les planchers et les murs des granges ou à allumer des feux. J’ai donc travaillé afin qu’il y ait une conservation qui se mette sur pied au Québec. En 1992, il y a enfin eu le dépôt légal, comprenant le nom de l’imprimeur, la date et l’affiche en deux exemplaires, à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Avant ça, la majorité des affiches au Québec, on ne savait même pas qui les avait créées. C’est une histoire très parcellaire.

Lorsque j’ai écrit le livre L’affiche au Québec, ça m’a demandé beaucoup de recherches. Heureusement, il y avait encore quelques personnalités importantes qui étaient vivantes, mais très souvent leur travail avait disparu. Pour l’exposition, c’est aussi à ça qu’on a été confronté. Sophie Bélanger, aux archives de la Place des Arts, et Danielle Léger, de BAnQ, ont fait une énorme recherche pour tout répertorier, mais elles se sont aperçues qu’il en manquait beaucoup. J’ai dû refaire imprimer des affiches de 2014; ce n’est pas si vieux que ça…  

C’est comme s’il y avait moins de respect envers cette forme d’art. À l’époque, même les graphistes qui faisaient des affiches s’en cachaient, pour ne pas nuire à leur carrière artistique en parallèle. L’affiche, c’était ce qu’on appelait en anglais le Commercial Art et c’était méprisé par les historiens de l’art.  

Que pensez-vous de la production graphique de nos jours?  

Je pense qu’on est résolument rendu en dehors des écoles. Tout le monde sait ce qui se fait ailleurs sur la planète. Je pense que le danger, c’est que les affiches ne soient plus suffisamment marquées culturellement.

Très souvent, les bons affichistes se sont imprégnés de leur milieu et ça transparait dans leurs créations. Si je regarde la production des grands en Suisse – du style de Claude Kuhn ou de Werner Jeker –, ce sont des gens qui continuent à faire des affiches fabuleuses. Là où il y a une tradition de l’affiche (par exemple en France), il y a des choses intéressantes avec des styles très variés chez les jeunes. Bien sûr, il y a l’intelligence artificielle qui s’invite dans tout ça, mais je ne sais pas encore si c’est un outil qui nous amènera du nouveau. Si, malgré les millions de créations aux quatre coins de la planète, on se retrouve toujours avec le même genre d’affiches, on a un problème ; personne ne va se faire remarquer. Et, finalement, c’est le but d’une bonne affiche.

Venez faire un tour à la salle d’exposition de la Place des Arts avant un spectacle pour admirer l’originalité de la collection d’affiches présentée jusqu’au 9 juin.