Bachelor : Dolorès un jour, femme toujours
Même 45 ans après sa naissance, Dolorès n’a pas pris une ride aux dires de Monika Pilon, qui campe l’unique personnage de la tragicomédie Bachelor, et d’Édith Cochrane, qui en assume la mise en scène. La troisième génération de la flamboyante étalagiste imaginée par Pauline Martin reprend du service en mars à la Cinquième Salle. Nous avons rencontré les deux femmes à la Place des Arts, lors des répétitions de la pièce de théâtre écrite par Louis Saia, Louise Roy et Michel Rivard en 1979.
Pouvez-vous nous présenter Dolorès?
Monika : Dolorès, c’est une verbomotrice qui a un immense désir de plaire. Elle est dépendante de l’amour des autres et a tendance à aller à l’encontre de ses propres limites. Souvent, dans des relations amoureuses, elle tombe de haut, elle se laisse écorcher. C’est aussi le genre de personne avec qui on peut devenir la meilleure amie en deux secondes ; elle étale sa vie et ne craint pas de parler de choses tant drôles que profondes.
Dolorès a d’abord été jouée par Pauline Martin, et ensuite par Sylvie Léonard 20 ans plus tard. Comment reconnaît-on la Dolorès de Monika Pilon?
Monika : Ce sont de très bonnes comédiennes qui l’ont jouée avant moi et je me garde une petite gêne de les regarder. Je veux vraiment repartir à zéro et personnifier ma propre Dolorès, comme si elle n’avait jamais existé; ça aide à m’enlever de la pression. C’est un beau défi, mais le texte me touche, ça vient brasser des affaires à l’intérieur de moi. Je me dis que si ça me touche, ça touchera aussi le public.
Édith : Chacune a sa lecture. Une des caractéristiques de Dolorès, c’est son authenticité. Monika arrive avec son physique, sa voix, sa livraison. Ce n’est pas un personnage de composition, elle va y aller avec ce qu’elle est. Plus on avance dans le récit, plus le discours de Dolorès se densifie ; on a accès à sa vulnérabilité et donc à celle de l’actrice qui l’interprète. Ce sera une proposition, comme quand on joue Molière et qu’il y a des millions de personnes qui l’ont joué avant nous. Quand tu arrives avec ta proposition à toi, avec ton corps, ta voix, tout ce que tu portes comme charge émotive, ça change tout!
Être seule sur scène et s’épiler les jambes (puisque c’est ce que fait Dolorès). Faut-il laisser la pudeur de côté?
Monika : Ah oui, mais j’ai accouché, donc ça ne peut pas être pire [rires]... On se lance et on ne se pose pas trop de questions! Elle est en face de sa voisine avec qui elle est à l’aise et elle veut juste jaser, mais il faut le faire avec quelqu’un qui ne nous répond pas. Elle ne s’adresse pas au public directement, mais celui-ci fait office de personnage secondaire. C’est comme ça qu’on accède à la vérité de Dolorès!
C’est un gros mandat, tant dans le jeu que dans la mise en scène. Comment ferez-vous pour habiter toute la scène de la Cinquième Salle?
Édith : La force de cette pièce-là, c’est l’interprétation par l’actrice d’un texte fort. Je suis entourée de concepteurs d’expérience, donc on va la soutenir avec un décor, de l’éclairage et des costumes, mais sans flafla. Je vais y aller assez sobrement, on va avoir des petites références à l’époque, mais ce ne sera pas un décor de La petite vie. Je veux que le public rie, mais je veux aussi que tout soit en place pour qu’il reçoive l’émotion de la fin de la pièce.
La pièce Bachelor était considérée à l'époque comme une pièce féministe. Est-ce encore le cas en 2024?
Édith : C’est un texte de 1979 qui résonne encore ; ça en dit long sur la perception persistante des femmes dans la société ainsi que sur nos relations. Aujourd’hui, on a des connaissances différentes, on a accès à plus de moyens de communication. Le féminisme a évolué, il y a des choses qui ont été nommées au grand jour. On parle de consentement, on parle du mouvement #metoo. Tous ces événements-là font que maintenant, on en connaît plus, parce que ces mots existent et sont nommés.
C’est sûr qu’aujourd’hui, on voit la situation de Dolorès, avec nos yeux de 2024. On a peut-être plus de compassion ou de pitié, mais en même temps, il y a quelque chose qui germe en elle, qui germait déjà à l’époque ; elle nomme quelques inégalités par rapport à son patron ou à son amoureux… Quand tu te colles à tout ce qui est sentiments, relations, rapports hommes-femmes, rapports d’amitié ou de sororité, rapports de pouvoir, tout ça, c’est encore d’actualité. Même chose pour le rapport à l’image et à l’estime de soi, c’est juste que ça se matérialiserait autrement aujourd’hui, probablement sur son téléphone. C’est féministe dans le sens où c’est le discours d’une femme dans la société qui se pose des questions.
Monika : On est encore tellement dans l’apparence, à mettre de l’avant tout ce qui est parfait dans nos vies. Mais, on va moins à la rencontre des gens de nos jours. On ne se permet pas, comme Dolorès à l’époque, de débarquer chez notre voisine et de jaser. C’est peut-être là aussi où il faudrait avoir une réflexion?
Faites connaissance avec Dolorès ou redécouvrez-la dans son nouveau Bachelor, présenté du 23 mars à la Cinquième Salle.

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