Mikaël Theimer : l’art de l’inclusion
Crédit photo : Mikaël Theimer
Crédit photo : Mikaël Theimer
Maryse Boyce - 9 octobre 2019

Mikaël Theimer : l’art de l’inclusion

Avec son exposition Corps et Âmes, le photographe montréalais Mikaël Theimer met en lumière un éventail diversifié de corps en mouvement, fruit de ses rencontres avec différents organismes et troupes qui conjuguent art et contraintes. Entrevue.

 

Pendant un an, Mikaël Theimer a documenté en photo le Programme Art adapté de la Place des Arts, qui vise à rendre accessibles les arts de la scène aux individus qui vivent avec des contraintes physiques ou des difficultés psychologiques. En parallèle, le photographe est allé à la rencontre de 18 organismes qui croient aux vertus de l’art comme vecteur de changement, de réappropriation et d’inclusion. Professionnels, amateurs et personnes en pleine démarche d’art-thérapie y sont donc représentés, dans toute leur individualité et leur humanité. Le résultat de cette année de rencontres, regroupé sous le titre Corps et Âmes, a été affiché dans la salle d’exposition de la Place des Arts et est maintenant disponible via le site Web de l'exposition. Pour poursuivre la réflexion que propose son exposition, nous avons posé quelques questions à Mikaël Theimer.

 

Le Programme Art Adapté répond au besoin criant de faciliter l'accès à la culture aux personnes vivant avec des troubles de santé psychologiques, une limitation physique ou victimes d'exclusion sociale.

 

Comment a débuté ce projet d’exposition ?

 

C’est moi qui l’ai proposé à la Place des Arts, pour qui je fais à l’occasion des photos depuis quelques années. J’avais déjà photographié des danseurs qui avaient des handicaps variés. J’ai donc parlé du projet à Marika Crête-Reizes [gestionnaire programmation et accessibilité culturelle à la Place des Arts], qui m’a alors parlé du Programme Art adapté et du tournant que voulait prendre la Place des Arts d’un point de vue d’accessibilité à la culture. C’était pile le bon moment.

 

Au Nom de la Danse Québec mise sur la pratique de la danse pour favoriser l'intégration des personnes vivant avec un handicap physique ou intellectuel.

 

Vous avez documenté 18 organismes et troupes pour la présente exposition, dont 17 se retrouvent dans les photos présentées à l’Espace culturel, et 18 sont sur le site web. Comment avez-vous pris contact avec ces organismes ?

 

Tout est parti d’un autre projet d’exposition avec l’organisme Sans Oublier le Sourire, axé sur la danse avec des danseurs et des danseuses atypiques. Ce sont eux qui m’ont fait découvrir les différents regroupements, notamment Corpuscule danse, Au Nom de la Danse et toute une série de personnes qui sont impliquées dans la danse inclusive et la danse adaptée. Je suis parti de ce réseau-là, puis on m’a ensuite référé d’autres organismes, troupes de théâtre, troupes de danse… D’autres projets qui avaient le même désir d’ouvrir les portes du monde des arts à des personnes à qui on les laisse généralement fermées. 

 

À l’invitation de France Geoffroy, pionnière de la danse intégrée au Québec et fondatrice de Corpuscule Danse, les chorégraphes Deborah Dunn, Lucie Grégoire, Benoit Lachambre et Sarah-Ève Grant ont chacun conçu une œuvre mêlant interprètes avec et sans handicap.

 

Danse Carpe Diem/Emmanuel Jouthe se retrouve uniquement sur le site web, puisque c’est la dernière compagnie qui s’est ajoutée à l’exposition. Je l’avais photographiée dans le cadre d’une autre exposition, sur les ponts intergénérationnels. Comme son travail cadrait bien avec la présente exposition, je l’ai ajoutée à la toute fin, mais il n’y avait plus de place sur les murs !

 

Avec le projet Écoute pour voir, la compagnie Danse Carpe Diem/Emmanuel Jouthe cherche à provoquer un rapprochement entre un spectateur seul et (ou un duo) de danseurs. Isolés du reste du monde à l'aide d'écouteurs branchés sur le même iPod, ils partagent ainsi un moment privilégié.

 

Depuis vos débuts comme photographe, vous placez la diversité humaine au cœur de votre travail. Que vouliez-vous montrer avec Corps et Âmes ?

 

La question que j’aimerais que le public se pose, une fois qu’il aura vu ces photos, c’est pourquoi on ne voit pas plus souvent ces gens-là, autant dans le monde des arts de la scène que plus généralement dans l’espace public. Est-ce parce qu’il y en a très peu ou est-ce plutôt parce qu’on ne leur fait pas vraiment de place ? Et si la bonne réponse est cette deuxième hypothèse, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour leur donner un peu plus de place ?

 

La question que j’aimerais que le public se pose, une fois qu’il aura vu ces photos, c’est pourquoi on ne voit pas plus souvent ces gens-là, autant dans le monde des arts de la scène que plus généralement dans l’espace public.

 

Selon vous, est-ce que l’art fait partie des solutions pour faire sortir ces individus de la marge ?

 

Oui, complètement ! L’art est un moyen d’intégration et d’inclusion très fort. Pour plusieurs, il s’agit d’un moyen de sentir qu’ils peuvent contribuer au monde. C’est bon pour la confiance en soi, parfois même pour la santé. Je pense par exemple au Théâtre Aphasique, qui rassemble des gens qui ont de grands troubles de communication après avoir fait un AVC et qui, à travers le théâtre, réapprennent à s’exprimer. C’est vital, dans leur cas !

 

Au sein de ses ateliers d’art dramatique du Théâtre Aphasique, c’est par le jeu et la comédie que les participants réapprennent à s’exprimer, alliant l’expression corporelle au langage verbal.

 

L’art est un moyen d’intégration et d’inclusion très fort. Pour plusieurs, il s’agit d’un moyen de sentir qu’ils peuvent contribuer au monde.

 

Après une année à documenter ces initiatives artistiques inclusives, que retirez-vous de ce projet ?

 

Ça m’a fait grandir. Ma perception du handicap a beaucoup changé. Aujourd’hui, je ne tiens plus pour acquis que la vie d’une personne qui a un handicap particulier est plus difficile que la mienne. Je ne peux pas savoir. Sa vie est différente, bien sûr, mais pas forcément plus difficile. Ceux qui vivent avec un handicap n’ont pas envie qu’on les regarde avec pitié ni qu’on dise qu’ils sont inspirants parce qu’ils sont sortis de chez eux aujourd’hui. Ils ont juste envie qu’on les regarde comme des êtres humains.

 

Visitez le site Web de l'exposition

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