Philippe Couture - 14 août 2019

En orbite — Alain Mongeau du Festival MUTEK : branché sur le risque artistique

Apprécié au Québec comme ailleurs dans le monde, notamment grâce à ses rejetons à Mexico, Barcelone, Buenos Aires, Dubai, San Francisco et Tokyo, le festival dirigé par Alain Mongeau est un espace de risque où l’on découvre chaque année de nouvelles esthétiques numériques et de stimulantes innovations technoartistiques.

 

Bien avant que le mot « numérique » ne devienne un buzzword contagieux, le festival MUTEK faisait découvrir aux Montréalais les meilleurs artistes en art numérique et en expérimentation sonore électronique. Son directeur-fondateur mesure le chemin parcouru et fait grandir notre excitation en prévision des événements présentés à la Place des Arts cette année.

 

Après 20 ans de programmation de musiques électroniques et d’art numérique, comment situer MUTEK dans le paysage artistique montréalais actuel ?

 

Je présente souvent MUTEK comme le premier festival à s’être entièrement consacré à la création numérique à Montréal et à s’être laissé complètement former et façonner par les mutations de cet univers artistique. Il occupe encore cet espace de défrichage et joue un rôle de meneur, même s’il n’est plus tout seul dans sa grande cour. À sa naissance, dans les années 90, il avait été conçu pour répondre à une ébullition de l’art sonore et de la création numérique, parfois encore balbutiante. Il fallait provoquer l’embrasement de ce qui n’était alors qu’une étincelle. Le festival est demeuré proche de cette essence, mais il a aussi réussi à donner à ces artistes leurs lettres de noblesse. Bien sûr, l’art numérique est pris au sérieux grâce à la ferveur technologique de notre époque. Mais, dans le contexte montréalais, MUTEK joue encore un rôle de premier plan pour démontrer la crédibilité de ces artistes qui étaient marginalisés ou incompris il n’y a pas si longtemps.

 

Justement, quel rôle joue un tel festival alors que tout le monde est devenu fou du numérique et tente de s’en approprier les pratiques ?

 

Avant, on était dans un rapport de pédagogie avec notre public ; il fallait toujours expliquer de quoi se nourrit la bête. Aujourd’hui, parce que le numérique fait partie de la vie courante, les gens possèdent les bases. Ça nous rend service. Mais on doit continuer à faire œuvre de transmission, car les artistes font évoluer les formes rapidement et, dans ce contexte, MUTEK ne cessera jamais de jouer le rôle du professeur un peu savant qui vulgarise et synthétise. Mon souci est précisément de proposer au public une sorte de synthèse de la création numérique et de la musique électronique émergente, comme pour dire « voilà où nous sommes rendus ».

 

La soirée A/Visions 3, qui met entre autres à l’honneur le collectif italien fuse*, sera-t-elle par exemple une bonne occasion de voir différentes pratiques numériques condensées dans un même spectacle, selon vous ?

 

Ce sera la performance la plus sophistiquée et la plus spectaculaire présentée au festival cette année. Fuse* propose en effet une combinaison de différents savoir-faire et un croisement de plusieurs disciplines, entre danse, mapping, capture de mouvement et génération d’images réactives à ce mouvement en temps réel. Toutes ces pratiques sont courantes, mais c’est la première fois que je les vois aussi bien intégrées, dans un spectacle aussi total.

 

La Place des Arts accueille deux autres spectacles étiquetés A/Visions. Qu’ont-ils en commun ?

 

Les artistes réunis dans cette série ont un appétit pour le spectaculaire et travaillent le rapport entre le son et l’image, croisant ces deux médiums pour inventer un nouveau langage. Ces deux soirées reposent entre autres sur des projections sur grand écran et des immersions sonores. Le duo 404.zero, par exemple, m’intéresse pour son utilisation d’équipements informatiques vraiment tous neufs, qui le mène sur des territoires inexplorés. Le même soir, la performance de Ryoichi Kurokawa s’appuie sur des images filmées par une caméra en textures volumétriques. C’est une nouvelle technologie encore peu utilisée par les artistes. Il y aura également, le lendemain, une prestation de Loscil, un musicien canadien originaire de Vancouver, qui fait de la musique ambiante en y greffant des visuels immersifs.

 

On aura aussi le plaisir de retrouver Tim Hecker, un artiste que le festival appuie depuis ses débuts. Que prépare-t-il ?

 

Une soirée un peu hors catégorie, axée sur une expérience plus sonore que visuelle. Tim Hecker travaille avec un ensemble de musiciens japonais traditionnels. Il croise l’ancien et le contemporain dans une vibrante alchimie sonore et il sait créer une ambiance d’écoute quasi religieuse. Si vous me permettez une parenthèse, je vous dirais que ce spectacle me réjouit aussi parce qu’il permet d’exprimer la forte amitié de MUTEK avec le Japon, où s’est développée depuis quatre ans une édition locale de notre festival.

 

La 20e édition du Festival MUTEK se tiendra du 20 au 25 août 2019. 

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